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CHAPITRE IV Ainsi parle la tour CN d’Hédi Bouraoui : une tour contestataire Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, le lien entre Babel ou, plutôt, entre les effets postbabéliens et le multiculturalisme est évident. Dans ce chapitre-ci, il sera également question de multiculturalisme, mais à la différence de Babel, prise deux, le roman faisant l’objet de ce chapitre ne tente pas de réconcilier la pluralité culturelle par le maintien d’une culture d’accueil fragilisée qui revendique une reconnaissance, voire un statut officiel en tant que nation. Ainsi parle la tour CN d’Hédi Bouraoui, paru en 1999, est indubitablement canadien, voire fédéraliste, mais cela ne présuppose pas que cette étiquette renferme des qualités essentielles ni que ce qui est canadien est immuable. Ce roman n’exalte pas non plus les vertus supposées de l’État canadien ; au contraire, il émet une critique acerbe de la politique officielle du multiculturalisme, la jugeant superficielle et hypocrite, et proposant, du même coup, une vision davantage transculturelle et mouvante de l’identité canadienne . Néanmoins, la pluralité et les échanges culturels priment dans ce roman, encouragés par une narratrice iconoclaste. Ainsi parle la tour CN se déroule à Toronto, ville multiculturelle par excellence, et le récit est narré par le symbole iconique de la Ville Reine, la tour CN. Cette voix narrative, qui déjoue bien sûr toutes attentes de réalisme, profite de sa fonction de tour de télécommunications pour relater des épisodes portant d’abord sur 134 TOURS ET DÉTOURS sa construction puis sur la vie des personnages qui travaillent en son sein et leur entourage. Voix féminine1 , la tour CN emprunte délib érément le français comme langue de communication, manifestant son bilinguisme digne de « tout bon citoyen » parce qu’elle « aime prendre la parole de la minorité officielle » (Ainsi parle : 21). Dans le roman étudié au chapitre précédent, Babel, prise deux ou Nous avons tous découvert l’Amérique, le français est revendiqué non seulement comme langue officielle, mais surtout comme langue à la fois véhiculaire, vernaculaire et référentielle2 ; c’est-à-dire à la fois lingua franca populaire (le véhiculaire), langue territoriale qui établit autant une « communion » qu’une « communication » entre interlocuteurs (le vernaculaire), et langue nationale permettant de transmettre la mémoire collective et le patrimoine (le référentiel) qui ralliera les immigrants à la cause du nationalisme québécois. Or, dans le roman de Bouraoui, la narratrice emprunte la même langue à des fins opposées : il s’agit de convaincre « le Québec de rester dans le giron de notre mère canadienne » (Ainsi parle : 21), rappelant que le français est une des langues officielles du Canada et pas seulement la langue du Québec. On détecte une certaine ironie dans ce discours de la tour, mais cette affirmation sert tout de même d’indice quant à sa position politique, refusant l’hégémonie de la langue dominante de Toronto, en l’occurrence l’anglais, et, par extension, tout ce qui relève de l’homogénéité et de l’uniformit é. Cette narratrice surréelle dotée de la capacité de parler se définit clairement comme une tour « anti-Babel », faisant allusion au fait que ses propres constructeurs ne partagent pas et n’ont jamais partagé, comme les Babéliens originels, une langue unique. À l’instar du roman de Francine Noël, Babel symbolise, dans Ainsi parle la Tour CN, la société contemporaine dans un contexte postbabélien, où règnent le chaos et la confusion caract éristiques de notre époque postmoderne, ainsi que la pluralité des langues, mais où la dispersion originelle est inversée, résultant en un rassemblement de peuples parlant différentes langues au sein d’un même espace urbain. Dans tous les romans qui font partie [18.221.154.151] Project MUSE (2024-04-26 08:11 GMT) Ainsi parle la tour CN d’Hédi Bouraoui 135 de la présente étude, Babel renvoie effectivement à une situation postbabélienne, mais celui de Bouraoui est le seul à exprimer cette position de manière explicite. La tour CN, qui ne se prend nullement pour la tour de Babel selon ses propres dires, précise qu’elle a été construite des mains d’ouvriers de toutes origines ethniques. Singulièrement sensible à la...

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