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La seconde vague critique : l’anthologie poétique québécoise de 1970 à 2000 Nelson Charest Université d’Ottawa P oser la question de l’anthologie au Québec, c’est immédiatement poser la question de ses institutions littéraires et de la valeur qu’elles sanctionnent et honorent. Comme le précisent les anthologistes de la Pléiade, « anthologein signifie “cueillir des fleurs” », et « cueillir – sauf à tondre la prairie –, c’est choisir1». Ce choix est celui qui inaugure une tradition, un patrimoine qui devient la propriété d’une nation, gérée par des institutions. C’est ainsi que ces institutions acquièrent un sens lorsqu’elles permettent de promouvoir, d’entretenir et de conserver une littérature, ou mieux, une bonne littérature, soit des œuvres qui peuvent être exportées dans le temps et dans l’espace, vers d’autres générations et vers d’autres nations. Or le paysage québécois paraît au premier abord paradoxal : d’un côté des institutions bien établies, avec leurs prix, leurs écoles, leurs dictionnaires, un Trésor et une Union; mais de l’autre côté, une frilosité persistante à prononcer un jugement de valeur basé sur des principes clairs et stables comme, par exemple, la pérennité, la popularité ou l’influence. L’institution littéraire québécoise cherche à se faire oublier même lorsque ses buts sont partagés, afin de faire croire à un choix le plus « naturel » possible. À ce titre, il n’est pas aisé de comprendre l’esprit critique qui préside à l’anthologie québécoise, celui qui effectue ces choix, tellement il se fait discret. Pourtant, il semble que l’anthologie québécoise, pour reprendre la typologie proposée par Emmanuel Fraisse, soit plus portée au manifeste qu’à la conservation, qu’elle soit un vecteur de promotion d’une jeune génération plutôt qu’un « musée » d’œuvres traditionnelles. Ce sont ces quelques paradoxes et d’autres que je veux ici mieux observer, d’abord en présentant une analyse structurale des anthologies québécoises publiées entre 1970 et 2000, puis en proposant l’étude de quelques thèmes prédominants pendant cette période (la nouveauté, la brièveté, le plaisir, le Poème), pour mieux comprendre l’esprit critique qui s’y développe. 1« Avertissement », dans Jean-Pierre Chauveau, Gérard Gros et Daniel Ménager (dir.), Anthologie de la poésie française, t. I : Du Moyen Âge au XVIIe siècle, Paris, Gallimard, 2000, p. x, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ». Nouveaux territoires de la poésie francophone au Canada 366 Observations préliminaires Le système que je propose se présente en deux temps bien distincts, opposés et complémentaires : d’une part, un système objectif, qui observe des faits et les classe selon leur nombre; et, d’autre part, un système subjectif, marqué par des thèmes et des valeurs. Le système objectif nous est donné par la table des matières des anthologies, alors que le système subjectif provient d’une lecture critique, celle que présente la préface2 et qui dirige le choix et la lecture de l’ensemble. Ce système doit montrer une certaine unité et cohérence, ce qui implique au départ quelques exclusions. J’exclus d’abord les anthologies d’auteurs, qui ne sont encore qu’une lecture d’une œuvre, et sont d’ailleurs susceptibles de s’approcher du recueil, plus ou moins global3 . Cette connivence se remarque dans l’expression « recueil anthologique » dont on se sert pour nommer un « aperçu », « les multiples visages de la poésie québécoise contemporaine4», où le critique cède la place au passeur, à celui qui promeut une génération et limite son engagement. Les collections« Anthologies » et « Rétrospectives » des Éditions de l’Hexagone vont dans le sens de cette distinction. D’un autre côté, j’exclus les anthologies traduites destinées aux langues étrangères, dont le propre et la visée sont précisément d’exporter le paysage québécois à l’étranger et qui nous informent autant, de ce fait, sur leur terre d’accueil que sur leur origine. Je note quand même, sur ce dernier point, que ces anthologies traduites, pour la période étudiée, sont plus nombreuses que les anthologies québécoises de poèmes étrangers. J...

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