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Émergence des Éditions du Noroît : entre le livre d’artiste et l’édition courante Thierry Bissonnette Université Laurentienne L a fin des années 1960 et le début des années 1970 sont marqués par l’apparition d’importantes maisons d’édition spécialisées en poésie québécoise . Après la fondation de la revue Les Herbes rouges en 1968 – un organe qui se métamorphosera en maison d’édition en 1978 –, l’année 1971 est une période charnière avec la mise sur pied des Écrits des Forges et des Éditions du Noroît (également dénommées « le Noroît »). De façon très générale, on peut dire que le choix des auteurs effectué par les Herbes rouges tend à fédérer ceux-ci sous la bannière d’une avant-garde québécoise aux accents contestataires, alors que les Écrits des Forges cherchent, entre autres, à promouvoir une écriture plus libre du « monopole » montréalais. Quant au Noroît, il se distingue par une préoccupation graphique et visuelle plus accentuée, ses artisans étant les moins enclins à formuler une ligne directrice, hormis la liberté créatrice reflétée par leur devise : « Le Noroît souffle où il veut ». Dans les trois cas cependant, les enjeux respectifs se découvriront grandement à rebours et a posteriori, aucun éditeur n’ayant souhaité qu’un programme trop explicite régisse le cours de ses activités. Si cela semble contraster avec le cas notoire des Éditions de l’Hexagone qui, dans les années 1950, accompagnèrent leurs productions d’une série de prospectus à propos de l’orientation de la maison, rappelons que ces documents promouvaient justement l’ouverture et la diversité comme facteurs d’unité. En évitant de restreindre a priori leur orientation, les nouvelles maisons se révélaient donc fidèles à l’attitude originelle de cette première grande maison de poésie québécoise. C’est de façon plutôt désintéressée que René Bonenfant et Célyne Fortin fondent les Éditions du Noroît en 1971, y voyant la possibilité d’un laboratoire artisanal où pourraient se combiner leur intérêt pour la littérature et celui pour les arts visuels. Leur préoccupationdebaseportedoncsurlamatérialitédulivre.Nonseulementlaprésentation matérielle du livre de poésie sera-t-elle envisagée avec un soin esthétique particulier, en collaboration étroite avec des artistes de l’image, mais on aura éventuellement pour objectif une adéquation entre cette matérialité et la poétique singulière de chacun des ouvrages. C’est ce dont témoignera la diversité de formats et de présentations graphiques Nouveaux territoires de la poésie francophone au Canada 316 observables dès les premières publications : dans une démarche parente de celle du livre d’artiste, l’interaction entre le texte et son support matériel permettra à ce dernier de devenir une composante active de la signification globale du livre. On tente ainsi de dépasser la simple transposition du contenu textuel dans l’image, en faveur d’un véritable dialogue entre le texte, l’image et le graphisme. La nouveauté, ici, consiste à vouloir démocratiser une forme plus soignée du livre, à s’inspirer d’une bibliophilie davantage liée aux galeries et aux collections privées ou gouvernementales, tout en tenant compte des exigences propres au marché du livre. À partir d’influences comme celle, capitale, de Roland Giguère avec ses propres Éditions Erta, les artisans du Noroît viendront remplir une case vide dans le milieu de l’édition courante de poésie au Québec1 . Leur créneau se situait alors dans un espace intermédiaire entre le livre de luxe à faible tirage et le livre à tirage régulier, généralement plus minimal dans la recherche esthétique entourant sa présentation matérielle. Alors qu’une telle initiative avait toutes les chances de demeurer extrêmement marginale, le Noroît est tranquillement mais sûrement devenu une institution en son genre, une des rares maisons québécoises subventionnées se consacrant presque entièrement au genre poétique. L’aspect graphique, distinctif durant les deux premières décennies, sera par contre un peu moins important par la suite, lorsque la quantité de publications annuelles ira en grandissant. Projet apparemment indépendant des tendances majeures ayant structuré la poésie des décennies pr...

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