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SPÉCIFICITÉ DE L’ŒUVRE Les Lettres chinoises est le deuxième livre de Ying Chen et suit La mémoire de l’eau. Chen est une auteure chinoise de Shanghai qui, ayant reçu une bourse de l’Université McGill pour une maîtrise en création littéraire (français) en 1989, décide après ses études de demeurer au Québec et d’y écrire. Bien que cette fiction épistolaire ne soit pas la favorite de Ying Chen – elle en a publié trois versions –, le roman s’est avéré un réel succès, tant auprès de la critique que du public. Ce court livre écrit très sobrement, sans apparente recherche, outre qu’il présente trois principaux personnages sympathiques, d’une complexe humanité, offre la thématique évidente de la migration vers une culture profondément différente. Le roman utilise l’intertextualité, à la manière de Montesquieu dans les Lettres persanes (1721), pour faire une critique de deux sociétés, et, comme cet autre roman composé de lettres, prône un certain relativisme culturel. Par la même occasion, et bien qu’écrit du point de vue de trois Shanghaiens réunis par leurs lettres en un triangle amoureux, il met en évidence les particularités des cultures québécoise, canadienne et nord-américaine comme aucun écrit traditionnel ne pourrait le faire. Chapitre 19 LES LETTRES CHINOISES (ying Chen), ou Comment peut-on être Canadien tout en restant Chinois Nicole Côté Du point de vue de la forme, le choix de l’épistolaire comme structuration du récit est intéressant en ce qu’il présuppose le rejet de la vision englobante d’un narrateur omniscient – ou même la centralité d’un personnage principal1 – et qu’il oblige le lecteur à passer constamment d’une vision du monde à une autre, ce qui pourrait correspondre à la perte de contrôle ressentie par les immigrants en arrivant dans une culture (et souvent une langue) qu’ils ne comprennent pas2 . Par ailleurs, comme dans tous les écrits épistolaires, les trois auteurs des lettres, affirme la critique Eileen Sivert, « écrivent autant à eux-mêmes qu’à leurs correspondants et, ce faisant, construisent autant la réalité qu’ils la décrivent ». Ce qui leur permettrait « de se reconstruire par la confrontation avec plusieurs autres (...) : l’autre étranger, l’autre du pays d’origine, de même que l’autre sexe. »3 Pour revenir aux thèmes, on peut affirmer que le roman présente une approche systémique du monde en ce que la vie des trois personnages principaux dans la vingtaine, Yuan, Sassa et Da Li, comme leurs lettres qui déteignent inopinément les unes sur les autres, sera irrémédiablement changée avec le seul départ de Yuan. En effet, Yuan, qui part étudier à Montréal, s’attend à ce que sa fiancée, très amoureuse, le suive incessamment, mais son 272 Introduction aux études canadiennes départ inaugure une longue réflexion au seuil de laquelle Sassa décidera de ne pas quitter son pays. C’est Da Li, leur amie commune, qui partira plutôt rejoindre Yuan et formera brièvement avec lui un couple, avant de repartir pour un autre continent. Il semble donc que si on peut prévoir son destin dans une Chine séculaire, cela ne soit pas le cas dans le Québec postmoderne, particulièrement lorsqu’un changement fondamental de culture est amorcé par un individu. Du moins est-ce que Ying Chen lasse entendre Quoique en apparence simple, le roman Les Lettres chinoises se prête à de nombreuses interprétations, dont celle (structurelle) voulant que Sassa, personnage central du fait qu’elle est à la fois la fiancée de Yuan et la meilleure amie de Da Li, – et à qui, pour cette raison, toutes les missives de Yuan et de Da Li, sauf une4 , sont adressées –, doive « s’effacer » en Chine pour que son fiancé Yuan renaisse en Amérique. Il est d’ailleurs dit que Sassa est la mémoire de Yuan. Si on prend cette assertion au pied de la lettre, Sassa, avec sa conscience déchirée, son hypersensibilité, peut être associée à un principe d’appartenance et de fidélité dont Yuan doit se débarrasser pour se renouveler en terre d’Amérique. On pourrait même avancer que les trois personnages, comme les personnages des récits ultérieurs de Ying...

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