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On impute à l’Europe, pour lui en faire procès, ses crimes dont le plus grand aura été celui d’exister. L’excès de ses lumières a fait trop d’ombre aux autres cultures qui ont été éclairées par elle. Les accusations sont d’autant plus lourdes que les parties civiles font assaut d’innocence. Il y a pourtant matière à plaidoirie. Que penser, en Inde, de la situation des intouchables , les Dalits, dont la vue ou le contact était l’impureté suprême et qui étaient exclus des quatre castes de la société? Que penser de la pratique de la sati qui ordonnait aux veuves de brûler avec leur mari sur le bûcher funéraire? La tradition fut interdite en 1829 par le Gouverneur anglais avec le Sati Prevention Regulation Act, mais l’Inde connaît encore aujourd’hui des cas de sati. La juridiction coloniale a-t-elle eu tort alors de légiférer en terre étrangère? Que penser, en Chine impériale, du sort Un faux procès CONCLUSION 278 Le procès de l’Europe des personnes viles classées en neuf catégories , des prostituées aux mendiants, aux barbares du sud et aux esclaves de naissance ? Que penser, en Afrique comme en Asie du Sud-Est, de la pratique de l’excision qui a mutilé et mutile encore plus de cent millions de femmes? Que penser du sort actuel des ethnies Nuba et Dinka, réduites au Soudan en esclavage, comme en témoigne la jeune Mende Nazer, violée à douze ans puis vendue comme esclave à Khartoum1 ? Que penser de la pratique de la lapidation dans certains pays islamiques, dont l’Iran qui menaçait en octobre 2010 de lapider Sakineh Mohammadi-Ashtiani? Que penser de la tradition juridique saoudienne qui coupe la main des voleurs et décapite les meurtriers avec un sabre? La politique et la morale universelles doiventelles admettre ces pratiques parce que ce sont des coutumes ancestrales et que, toutes les cultures étant égales, chacune se réfère à ses propres valeurs? La critique de l’Europe n’est possible qu’à l’aide des normes juridiques et des principes éthiques qu’elle a diffusés chez tous les peuples pour connaître le monde plutôt que pour le juger. Le lecteur comprendra que je ne plaiderai pas la relaxe 1. M. Nazer et D. Lewis, Ma vie d’esclave, Paris, Éditions de l’Archipel, 2008. [3.145.130.31] Project MUSE (2024-04-26 11:53 GMT) Un faux procès 279 puisque le tribunal entier, l’avocat de l’accusation comme les avocats de la défense, les juges comme les témoins, parlent une même langue et partagent une même culture, celle que l’on ne peut dissoudre sans se dissoudre soi-même comme dans un rêve. Le procès de l’Europe, qui se confond en définitive avec le processus de son ouverture au monde, ne peut qu’aboutir, sur le modèle de l’universel qui est privé d’ancrage, à un non-lieu. La démesure de la raison Les critiques auront beau chercher dans les aires culturelles étrangères à l’Europe, les tribus primitives ou les civilisations avancées, ils ne trouveront pas, en dépit des coutumes et des sagesses, un mode de pensée comparable au modèle européen. J’ai rappelé que sa rationalité était fondée sur quatre postulats. Sur le plan théorique , la connaissance du monde est tendue vers l’idée de vérité qui éclaire chacune de ses démarches. Sur le plan pratique, l’action de l’homme est commandée par l’idée d’humanité dont chacun a le devoir de respecter la dignité. Sur le plan historique , le développement de la société est soumis à une ouverture qui conduit l’humanit é vers la maîtrise de son destin. Sur le plan moral, enfin, la réflexion impose 280 Le procès de l’Europe à la culture européenne de se mettre en question et d’accuser, dans tous les sens du terme, les blessures qu’elle inflige aux autres et qu’elle s’inflige à elle-même. C’est parce que la rationalité est spéculaire qu’elle s’inquiète sans cesse du visage qu’elle présente dans son propre miroir. Que la critique de soi puisse se pervertir en détestation de soi n...

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