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Hasard objectif ANDRÉ GARDIES Université Lumière - Lyon 2 (France) D u désir de prolonger une rencontre particulièrement enrichissante est né le livre que j’ai publié en 1972 chez Seghers, consacré au cinéma de Robbe-Grillet. Or, cette rencontre particulièrement productive, puisqu’elle allait décider de l’orientation qu’allait prendre ma vie professionnelle (et personnelle, dans une moindre mesure) durant les trente années suivantes, est survenue au terme d’un enchaînement de circonstances si étonnant qu’il relève assurément de ce qu’André Breton aurait appelé le hasard objectif. Qu’on en juge. Tout commence à la fin des années 1950 quand un copain, boulimique lecteur devenu pendant un temps mon mentor, me recommande la lecture du Voyeur. Le livre me laisse dans un grand état d’irritation: j’ai le sentiment de n’avoir rien compris et, pourtant, je suis fasciné. Le même sentiment se reproduira un peu plus tard avec L’Année dernière à Marienbad. Avec la lecture aussi de La Jalousie. L’Immortelle à son tour et, à un degré moindre, Trans-Europ-Express feront renaître de loin en loin cette ambivalence. Bref, sans être une obsession – bien d’autres films, bien d’autres lectures vont occuper le devant de ma scène culturelle –, Robbe-Grillet ressemble à une écharde qui s’incruste sous la peau. Dans la même période, comme tout étudiant en Lettres qui se respecte, je lis quelques-uns de ces ouvrages que la pruderie gaulliste, sous l’œil sévère de Tante Yvonne, voue aux Enfers ou aux ciseaux d’Anastasie: L’Image, paru aux éditions de Minuit, signé d’un certain Jean de Berg, dont on savait à l’époque que c’était un pseudonyme. Quelques petites années passent; d’autres lectures, d’autres horizons m’ouvrent de nouveaux centres d’intérêt: dans des conditions non-professionnelles, je réalise trois courts métrages de fiction. Dans le même temps, un ami plus jeune me fait part de son enchantement d’avoir découvert le livre toujours interdit qu’est L’Image. Ce qui provoque chez moi l’envie de le relire. Au fil des pages, j’ai alors la brusque conviction que je sais enfin, moi, le petit provincial, ignorant des potins parisiens, qui se cache derrière le «Jean de Berg » de la couverture : c’est Alain Robbe-Grillet. Qu’importe ici que je précise sur quoi se fonde ma certitude, l’essentiel est dans la suite des événements . ALAIN ROBBE-GRILLET – BALISES POUR LE XXIE SIÈCLE 534 À quelques semaines de là, mon dernier film, Faustin, désormais…8, est programmé aux Rencontres Nationales du jeune cinéma non-professionnel de Rouen, en février 1970. Et cette année-là, le parrain de cette manifestation n’est rien moins que le cinéaste-romancier Alain Robbe-Grillet. Profitant de la fin d’une séance de dédicaces, je m’approche et lui demande : « Si j’avais L’Image, est-ce que vous me le dédicaceriez?» Au regard d’étonnement, je sens que j’ai accroché quelque chose, mais on me répond : «Mais non, pourquoi le signerais-je puisque l’auteur est Jean de Berg?» Était-ce ma question, était-ce réellement l’intérêt qu’il avait porté à mon film?, pendant la rencontre, à deux ou trois reprises, nous discutons de ses films, de cinéma et même de mon propre court métrage. Le dernier soir, au restaurant, il me glisse en aparté: «Vous savez, Gardies, dans un couple, on peut avoir des fantasmes communs.» Cette confidence, qui confortait à demi mon hypothèse, ajoutée à l’extraordinaire sentiment que j’avais eu d’apprendre en quelques rapides échanges beaucoup plus sur ma pratique de modeste réalisateur qu’en des mois et des mois de travail, me décida non seulement à tout faire pour garder le contact avec Robbe-Grillet, mais encore à me lancer dans une exploration plus systépeau . Durant dix ans, j’allais me consacrer à cette approche. Passablement de questions ont reçu des réponses tandis que de nouvelles surgissaient. L’écharde a la vie dure. Mais une certitude demeure: mon itinéraire intellectuel en a été particulièrement et positivement marqué. NOTES 1 A. Robbe-Grillet, Les Gommes, suivi de Clefs pour Les Gommes par Bruce Morrissette, Paris, UGÉ,«10/18», 1962. 2 Président de l’IMÉC...

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