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Robbe-Grillet, qui s’est voulu le champion de l’«univers des formes» et le contempteur de l’«univers des significations», conscient depuis presque deux décennies du «reflux» qui submerge les tentatives d’échapper «aux normes de l’expression-représentation» (MR: 9), apparaît d’ores et déjà non seulement comme une figure majeure du XXe siècle mais surtout comme un repère pour le temps présent, une balise pour le XXIe siècle, car il est et restera cet artiste lucide qui «ne nous délivre pas de la mort, certes, mais de nous qui devons mourir »92 et de ce fait nous aide à vivre.  Le nouvel Œdipe : jeux et enjeux de la violence sexuelle chez Robbe-Grillet RAYLENE RAMSAY (University of Auckland, New Zealand) T out le monde, selon Robbe-Grillet, connaît la femme, belle et jeune pour l’éternité, qui se trouve, sur les murs de la cité, dominant la mythologie contemporaine. À partir des années 1970, la violence sexuelle contre cette jeune femme caractérisera une œuvre qui ne sera enfin décrite par la critique comme relevant de la tradition du libertinage qu’après la sortie de La Reprise en 200193. Les toutes dernières œuvres, le film C’est Gradiva qui vous appelle et le «roman», Un roman sentimental, confirmeront la catégorie. Dès 1976, dans un entretien avec Vicki Mistacco94, l’écrivain avait précisé que c’est le viol de la vierge qui serait, en fait, l’archétype du romanesque occidental, consommé par toute notre civilisation, de la mythologie grecque aux romans de gare. La séduction du corps féminin, la carnation blanche qui appelle le rouge de la défloration, le cœur de la rose qui saigne, motive, voire justifie, entre bien d’autres images semblables, la publicité hyperbolique pour le produit détersif «Johnson» dans Projet pour une révolution à New York, où une jeune femme baigne dans son sang sur la moquette. De tels scénarios, où la Belle appellerait sa Bête ou son assassin, marqueraient surtout les genres populaires contemporains, de la musique aux films et romans de série B, y compris le célèbre King Kong, où, dans une inversion de rôles, Belle devient la femme «fatale ». Car «Twas Beauty killed the Beast». À cette Miroir, mon beau miroir… 303 panoplie d’images populaires de jeunes filles érotisées, qui appellent le désir et la violence masculine, s’ajoutent toutefois des représentations empruntées non seulement à la mythologie classique ou populaire, mais aussi à des œuvres de la culture lettrée. Dans l’«assemblage intertextuel»96 qui, selon Bruce Morrissette, caractérise l’œuvre de Robbe-Grillet surtout à partir de Topologie d’une cité fantôme et Souvenirs du triangle d’or, l’auteur fait allusion aux textes de Sade, de Lautréamont, de Freud, de Goethe et de Hoffmann, ou encore à La Sorcière de Michelet, en passant par Barthes. Sans oublier les images de Delvaux, d’Ionesco, de Balthus, la Salomé dansant devant Hérode de Gustave Moreau (et, d’ailleurs, La Chambre secrète de Moreau, qui n’existe pas), les jeunes filles en fleur de David Hamilton, les tableaux de Delacroix, de Lovis Corinth et de peintres pompiers, ainsi que les grandes œuvres d’opéra. Ces référents, mis à plat, rétrogradés au stade du matériau de construction textuelle, selon les analystes les plus avertis, ainsi que Robbe-Grillet lui-même, relèvent pourtant des domaines de violence bien particuliers. Car même les représentations«innocentes», prises comme « générateurs», dans l’œuvre de Jasper Johns ou de Robert Rauschenberg par exemple, sont passées par un imaginaire qui les marque de son sceau. La Cible de Jasper Johns est un des objets qui en sort tout à fait transformé: des flèches transperçant la chair de la jeune victime, pour en faire une femme-cible, sacrificielle, totémique (voir T). Ailleurs dans les textes robbe-grillétiens, cette jeune fille deviendra le cerf en proie aux chiens de chasse, servie ensuite au festin, ou bien la victime de la chasse sous-marine du père imaginaire, le comte de Corinthe, quelque part au large des côtes de l’Amérique du Sud (Angelica von Salomon mise en boîte de saumon et consommée). Une mythologie personnelle Est-il tout à fait vrai, comme l’affirme Robbe-Grillet au d...

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