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III Hissons les toiles ! 7 Robbe-Grillet et Magritte : la femme, le miroir et les liaisons dangereuses BEN STOLTZFUS University of California, Riverside (États-Unis) R ené Magritte a peint deux tableaux intitulés Les Liaisons dangereuses (1936, voir le tableau I) et les titres de ses toiles viennent assez souvent du domaine littéraire, tels, par exemple, Les Fleurs du mal (1946) de Baudelaire ou La Philosophie dans le boudoir (1947) de Sade. Quant à Robbe-Grillet, le titre de son roman illustré, La Belle Captive, est inspiré de six tableaux de Magritte, son peintre préféré. Si les liaisons tropiques de RobbeGrillet sont moins visibles que celles de Magritte, elles sont néanmoins tout aussi présentes, car dans ses fictions, le corps de la femme joue un rôle quasi primordial. Pour eux, une œuvre – un roman, un tableau ou un quatuor – entretient surtout et toujours un rapport de sensualité avec le corps. Et si les liaisons de Choderlos de Laclos sont sexuelles et réalistes, celles de Magritte et RobbeGrillet sont nettement artistiques. Il n’est pas question de séduction, de vengeance ou de pouvoir – comme dans les rapports personnels envisagés par la Marquise de Merteuil ou le Vicomte de Valmont –, mais d’une représentation qui enfreint les conventions artistiques et littéraires. Magritte, le surréaliste, et RobbeGrillet , le Nouveau Romancier, subvertissent le réalisme et les idées reçues pour attirer notre attention sur la parole mouvante dans l’œuvre elle-même, c’est-à-dire le processus de la création et de notre perception. Pour Magritte, l’art n’est pas le miroir de la réalité, mais la réalité du miroir et, comme le disait Jean Ricardou, le Nouveau Roman n’est pas le récit d’une histoire, mais l’histoire d’un récit1. Cet art souligne les mises en abyme, l’ambiguïté et la contradiction, rejetant ainsi la mimesis et créant un nouvel aperçu du monde. 183 Robbe-Grillet 11c qx 10/15/10 1:50 PM Page 183 ALAIN ROBBE-GRILLET – BALISES POUR LE XXIE SIÈCLE 184 René Magritte, Les Liaisons dangereuses, 1936 (© 2010 C. Herscovici, London / Artists Rights Society (ARS), New York) Robbe-Grillet 11c qx 10/15/10 1:50 PM Page 184 [3.145.94.251] Project MUSE (2024-04-19 08:22 GMT) Mais le corps nu de la femme reste toujours l’image préférée, parfois sous-entendue, de leurs mises en scène, et ces liaisons, même symboliques, semblent assez souvent choquer la sensibilité bourgeoise. Je ferai l’analyse des procédés artistiques et littéraires tout en soulignant les ressemblances entre ces deux artistes. Les liaisons dangereuses Les Liaisons dangereuses de Magritte représente une femme nue tenant un miroir dans lequel on voit reflété le corps d’une femme nue. Le corps réfléchi représente approximativement la partie du corps qui est derrière lui, soit depuis les épaules jusqu’au haut des cuisses. Mais cette partie invisible, on la voit en profil opposé, c’est-à-dire qu’on voit le dos et le derrière de la femme, et non le devant. On a l’impression que les deux femmes devraient être la même personne parce que l’image du miroir offre l’image inverse de la partie cachée du corps. Dans ce tableau, le miroir réfléchit une réalité impossible parce que la personne devant le miroir devrait être le spectateur, et non pas la femme nue. Ainsi, le corps semble brisé en deux. Le tableau ne peut être réaliste et, par conséquent, il pose la question suivante: quelle est la fonction de l’art? Magritte lui-même y a souvent répondu, disant qu’il peint le mystère ou encore le visible de l’invisible. Selon Max Loreau,« c’est de la peinture même qu’il est plus probablement question dans ce tableau››2. Mais comment peut-on représenter la peinture ou plus précisément le processus même de peindre? Magritte le fait en peignant une réalité contradictoire , voire impossible, et Robbe-Grillet, dans ses fictions, fait la même chose. Les contradictions foisonnent et la réalité du monde devient suspecte. Le Nouveau Roman n’est plus le tableau de notre vie, mais la mise en scène de l’écriture. Pour Magritte, c’est la...

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