In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Je ne pense pas prendre de risque inconsidéré en affirmant que RobbeGrillet , chantre de la discordance, aurait partagé cette opinion. Aussi insister comme je l’ai fait sur la persistance dans son œuvre romanesque des constituants diégétiques, de la fabula, et en dernier lieu de l’intrigue qui les subsume, tout en mettant en exergue leur impact pragmatique sur le double plan imaginaire et affectif, ne relève-t-il qu’en apparence d’une position iconoclaste, voire irrévérencieuse. Il s’agissait bien plutôt, tout en récusant quelques idées reçues trop consensuelles pour être honnêtes, de rendre justice à des récits de fiction aptes à combler toutes les composantes de l’activité lectrice et à nous aider ainsi à reconfigurer harmonieusement notre rapport au monde – justice aux récits, hommage à leur créateur. Ma foi, c’est fait. 7 Le voyeur dans deux œuvres d’Alain Robbe-Grillet : analyse stylistique NEÏLA MANAI Université de Gafsa (Tunisie) L e voyeurisme est présent dans toutes les œuvres de Robbe-Grillet et nous fait découvrir que le regard qu’il porte sur le monde des êtres et des objets est véhicule de désir et recherche de jouissance. À partir de deux de ses premiers romans, La Jalousie et Le Voyeur, je propose de mener une réflexion sur ce regard pervers à travers l’étude des procédés textuels. L’étude de la mise en texte de ce voyeurisme permettra de voir à quel point ce thème varie chez Robbe-Grillet d’une œuvre à l’autre. Dans son ouvrage Les Perversions sexuelles, Gérard Bonnet affirme : Depuis Krafft Ebing et Freud, on parle de voyeurisme pour désigner la pratique qui consiste à épier autrui, souvent à son insu, dans son intimité quotidienne: habillage et déshabillage, défécation et miction, soins intimes, flirt et rapports sexuels.72 C’est l’attitude du voyeur de La Jalousie: il choisit un lieu de perception qui lui permet de voir sans être vu, d’où le titre du roman: une jalousie est un Les styles d’une œuvre 135 Robbe-Grillet 11c qx 10/15/10 1:50 PM Page 135 «treillis de bois ou de métal au travers duquel on peut voir sans être vu»72. Complètement absent du champ de vision, le voyeur de La Jalousie est présent par son regard. Dans une maison située face à une bananeraie tropicale, cet observateur anonyme dépeint un monde étroit et incomplet. Il surveille A…, une femme (sa femme ?), et Franck, les deux personnages principaux. Par son statut paradoxal, présent par son regard et absent du champ de vision, il occupe la place d’un objectif de caméra. Néanmoins, celui-ci dissimule l’œil du désir, l’œil du voyeur, qui derrière les lames de la jalousie, scrute A… dans ses moments d’intimité. Le titre même de l’œuvre fait donc allusion à la présence du voyeur. Pour celui-ci, c’est un plaisir en soi que d’être posté derrière les lames d’une jalousie, ce qui lui permet de voir sans être vu, de violer l’intimité d’autrui et de saisir, ne serait-ce que d’une manière fragmentaire, l’objet convoité. La jalousie en tant que sentiment pourrait être la cause ou la conséquence de son comportement, mais tel n’est pas le cas; elle est l’alibi du voyeurisme. Cette jalousie présumée dissimule un désir de voir, la recherche d’une jouissance à travers ce regard. Selon Jacques Lacan, «[a]u niveau scopique, nous ne sommes plus au niveau de la demande, mais du désir, du désir à l’Autre »74. Dans le cas du voyeur, «le sujet en cause n’est pas celui de la conscience réflexive, mais celui du désir»75. Et c’est justement la mise en texte de ce désir que j’essaierai d’analyser dans l’extrait suivant, situé vers la fin de la cinquième partie (J: 119-122). De l’œil de la caméra à l’œil du désir Après avoir rendu visite à Christiane, la femme de Franck, A… rentre chez elle. Le regard qui nous intéresse ici est celui qui pénètre dans la chambre à travers les lames de la jalousie, scrute les moindres gestes de A…, un regard pervers qui érotise des scènes ordinaires pour jouir. Le...

Share