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Assis sur une chaise au milieu de la salle, Kepler jauge malgré lui la pièce d’un œil professionnel. C’est une salle d’interrogatoire, sombre, nue, si ce n’est quelques rares taches inquiétantes ici et là, sur le sol et les murs. À sa gauche, tout juste hors de sa portée, se trouve un plateau en acier sur lequel reposent des instruments, des scalpels, des pics à glace, un marteau de maçon, de quoi lui donner matière à réflexion pendant qu’il est assis. Les mains de Kepler sont menottées derrière son dos, le tiennent prisonnier de la chaise. Il donne à la chaîne un bon coup sec, plus par dégoût qu’autre chose. Kepler est en colère. Il leur en veut d’en être arrivés là, et il s’en veut de les avoir laissés faire. Il n’avait jamais pensé qu’ils se montreraient aussi lâches, qu’ils lui tendraient une embuscade dans une ruelle, comme de vulgaires agresseurs, préférant les bâtons et les coups à la tête aux fiers discours et aux accusations. Kepler avait lui-même un discours tout prêt pour le jour où ils seraient finalement venus cogner à sa porte, un discours aussi bien destiné à sa femme et à son fils qu’à ses ennemis, mais désormais inutile, déplore-t-il. VII Kepler en orbite : chapitre premier – L’interrogatoire LE DODÉCAÈDRE OU DOUZE CADRES À GÉOMÉTRIE VARIABLE 172 Il comprend maintenant qu’il les a humiliés. Il est resté hors d’atteinte trop longtemps. Le simple fait de vivre et de respirer était une provocation en soi, et ils ont alors eu recours à une ruelle sombre, à l’avantage écrasant du nombre et à un coup de bâton bien balancé au ras des épaules qui a atteint sa cible, juste au-dessus de l’oreille. Il sent battre l’ecchymose, animée de pulsations, lorsqu’il serre les mâchoires. Il aimerait faire courir son pouce le long de la marque violacée, sentir la caresse de la douleur, sa morsure , mais ses mains sont solidement liées derrière son dos. Les menottes, la salle d’interrogatoire et les coups sourds qui résonnent derrière son oreille sont autant d’insultes. Si c’est ainsi qu’ils veulent que cela se passe, de cette manière abjecte et indigne, pense-t-il en grinçant des molaires, alors qu’il en soit ainsi. S’ils s’étaient comportés en hommes, s’ils l’avaient emmené ici à la régulière en le regardant droit dans les yeux, il aurait pu tout leur déballer. Mais puisque c’est ainsi, ils vont devoir travailler pour obtenir ce qu’ils veulent. Ils vont devoir creuser un peu plus profondément dans la boue, se mettre un peu plus de crasse sous les ongles et dans les narines. Si c’est une confession qu’ils veulent, ils vont devoir la lui extirper avec leurs griffes. Mais quelque chose ne tourne pas rond. Le cœur de Kepler bat à tout rompre, ses veines se dilatent de rage. Il tremble nerveusement, il combat l’envie de se débattre avec férocité et de briser la chaise sur laquelle il se trouve. C’est la mauvaise façon de commencer un interrogatoire. On n’arrive à rien de cette manière. Un interrogatoire est un marathon, pas un match de boxe. Il faut rester calme, laisser venir les choses, et non bouillonner du désir de ficher son poing dans quelque chose. [3.146.152.99] Project MUSE (2024-04-26 14:40 GMT) 173 Kepler en orbite Kepler respire lentement et profondément par le nez afin de faire baisser son rythme cardiaque, mais il peut sentir son sang déferler, rugir comme un moteur lancé à fond de train. Son corps le fuit à toute vitesse. Que diable lui arrive-t-il ? Tout d’un coup, Kepler sait exactement de quoi il s’agit. Ils lui ont injecté quelque chose, ils l’ont préparé à parler. Il grogne et secoue la tête devant leur stupidité. Pensaientils vraiment que cela marcherait ? Kepler connaît tout des petites fioles et des aiguilles. Il sait même quelque chose qu’ils ignorent peut-être. Elles peuvent vous faire parler. Elles peuvent vous faire bouillonner et trembler d’énergie au point d’avoir besoin de tout cracher, mais elles ne...

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