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Pour une (re)politisation de la traductologie Salah Basalamah Les raisons pour lesquelles les « études critiques de la culture », ou les Cultural Studies, n’ont que « peu pénétré les champs académiques francophones » sont certainement légion. Mais, sans surprise pour le traductologue que je suis, on invoque pour l’expliquer la possibilité d’une « question de traduction » ou encore de « positions politiques ». Très intéressante coïncidence… Mais à y bien réfléchir, ce n’en est pas une, pour deux raisons. D’abord, le rapport entre traduction et politique n’est pas ténu, il n’est pas fortuit et, surtout, il n’est pas superficiel. Or, une compréhension approfondie des enjeux des études critiques de la culture et de la traductologie nous montreraient certes que la communication entre des altérités est presque toujours un problème qui relève, à la fois, de la compréhension de ce qui différencierait des discours individualisés et au rapport de pouvoir qui mettrait aux prises les productions discursives des uns vis-à-vis celles des autres. Ensuite, le fait que ce soit dans le monde francophone où l’on constate l’absence ou la faiblesse d’une telle discipline n’est pas fortuit non plus. De fait, alors qu’on fait face, jour après jour, aux défis d’incompréhension interculturelle qui caractérisent les pays occidentaux à majorité francophone, il est plus que remarquable de voir à quel point la déconstruction et la remise en question des discours dominants sur l’identité sont marginalisées, voire censurées. Prenez le cas de l’une des rares voix E p r e u v e s musulmanes médiatisées du paysage audio-visuel francophone: voyez comment un Tariq Ramadan est littéralement diabolisé en France. Pas moins de cinq biographies (non autorisées bien sûr) ont été publiées durant les trois dernières années sous le seul prétexte qu’il aurait un « double discours » (quelque chose qui nous rappelle étrangement la situation des Juifs en Occident avant la première moitié du 20e siècle). Et toutes ont été non seulement une injure à la personne de Ramadan (par la multiplication des procès d’intention qu’ils recèlent), mais également et surtout une injure à l’intelligence des lecteurs francophones tant la part de la rigueur et de l’honnêteté intellectuelle est congrue, voire parfaitement absente. Qu’est-ce qu’il y a à dire sinon que les défis culturels sont à la fois profonds et complexifiés de nombreuses dimensions ? Qu’en dessous du problème de l’incompréhension culturelle évidente qui traverse la France et le Québec, entre autres, il y a également celui de la crise identitaire qui se trahit? Autrement dit, l’une des choses que révèle ce genre de tension, c’est que non seulement l’un des enjeux principaux du débat trouve son cœur dans la traduction culturelle, mais que le personnage qui fait œuvre de « traducteur culturel » se trouve sous les feux des deux groupes d’appartenance à la fois. On dit toujours ne tirez pas sur le messager, parce qu’il ne serait pas l’auteur du message, qu’il n’en serait pas responsable, qu’il serait donc innocent. En fait, ce n’est pas tout à fait vrai puisque, autrefois, c’était le messager qui lui donnait forme et le formulait selon ses compétences, ce qui en faisait une espèce de co-auteur, mais surtout une nouvelle incarnation, une survivance présente qui remédie à l’absence du véritable auteur. C’est la même chose pour le traducteur: il travaille avec des représentations qu’il connaît bien, mais qui ne lui appartiennent pas complètement. Traduire ici signifie à la fois maîtriser le discours et les représentations des deux groupes 124 Salah Basalamah [3.133.79.70] Project MUSE (2024-04-23 12:52 GMT) E p r e u v e s d’appartenance qui lui sont communs et faire le trajet traductif dans les deux sens. Cela étant, que savons-nous au vrai, au sein du petit monde des sciences humaines, de la traduction comme discipline constituée depuis plus de vingt ans maintenant et de son importance dans le jeu des dynamiques interdisciplinaires? Quels sont les rapports généalogiques et de coopération nécessaires ou possibles entre la traductologie et d’autres...

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