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10. Pépin-Robarts redux : socialité, régionalité et gouvernance
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sont grandement responsablesde leur propre sort (Thurow, 1996). Il s'agit de différences dans les habitus attribuables aux différentiels de capital social. Le capital social (au sens de Coleman [1988] et non pas au sens plus strictement financier de Desjardins) est l'ensemble des organisations sociales comme les réseaux, les normes, les conventions, la confiance, qui facilitent la coordination et la coopération (Putnam, 1995). Les forces qui ont dans le passé contribué de manière importante à la mise en place de ce capital social ont été la famille, l'école et la communauté. Une déperdition de capital social se traduit, selon Putnam, par un progrès économique plus lent : moins on convivialise, moins on se parle, moins on interagit, moins on est amené à parler d'affaires et à coopérer. Dans une étude longitudinale, Putnam a montré que dans les régions du Nord de l'Italie où la vie communautaire prospère, la vie économique est exubérante ; dans le Sud, où la vie communautaire stagne, l'économie stagne (Putnam, 1993). Or, Putnam a aussi constaté qu'aux États-Unis, il y a eu dilapidation du capital social : il y a eu effondrement desassociations locales, des associations parents-professeurs, etc. La participation à tous ces groupes a chuté d'un bon quart au cours des derniers vingt ans. Au Québec, cette décapitalisation sociale s'est faite peut-être plus dramatiquement qu'ailleurs à cause de la double pression de l'État keynésien fédéral qui, par sespolitiques sociales, a déplacé en partie la vieillesolidarité de la société civile, et de l'État québécois qui, en affirmant une présence dramatiquement agrandie sur l'échiquier provincial, a contribué à liquider non seulement le pouvoir des anciennes élites, mais toute une ribambelle de réseaux enracinés dans l'ancienne société civile (Paquet, 1996). La Révolution tranquille a évacuélesvieilles solidarités (famille, religion, etc.) et pendant un moment, on a cru que l'enthousiasme nationaliste à lui seul pourrait fonder une passion fusionnelle de rechange. Cette stratégie a fait long feu. On convient maintenant qu'il va falloir reconstruire une socialité nouvelle sur des liens plus ténus. Or, cette socialité nouvelle sera plus difficile à construire qu'on l'aurait pensé et plus fragile qu'on l'aurait espéré. Le référendum de 1980, la récession du début des années 80 et celle du début des années 90 ont été des expériences éprouvantes qui ont révélé des faiblesses insoupçonnées dans la société civile qui ont miné jusqu'à un certain point les deux grands mouvements qu'étaient encore Desjardins et Québec inc. Cette période d'hibernation de l'affect québécois, de chute du sens de \avventura comune n'est pas unique. Comme tous ses congénères en Amérique du Nord, le Québec a traversé des années durant lesquelles on 146 • Gilles Paquet — Tableau d'avancement a détruit nombre de sources anciennes d'intégration sociale sans pouvoir toujours les remplacer par de nouvelles sources viables de socialité. Le résultat a été une dilapidation de la sociabilité spontanée, du capital social de confiance et d'échange social sur lequel on construit les réseaux économiques performants. Logiques multiples et partenariats Au centre des activités de Québec Inc. et de Desjardins, il y a avant tout accord de réciprocité. Or, chaque fois qu'il y a partenariat entre agents aux ambitions différentes, il y a possibilitéde discorde, puisque chacun poursuit ses propres objectifs selon son esprit par le truchement de l'entente. Des partenariats comme ceux que veulent créer Desjardins et Québec inc. ambitionnent d'aller au-delà de ces égoïsmes parallèles, de bâtir sur des liens de synergie porteurs de productivité accrue, mais recherchés aussi pour eux-mêmes. En anglais, on utiliselemot bondingpow dénoter, de manière générique, ce genre de liens extrarationnels par lesquels on se rattache directement à l'Autre affectivement, par lesquels on réduit l'Autre à l'autrui (« ce qui est différent de moi, mais que je peux comprendre, voire assimiler »), (Guillaume, 1993 ; Baudrillard et Guillaume, 1994). Ces liens ne sont pas vraiment réductibles aux choix rationnels des individus. Ces modèles de bonding fondent des dispositions qui engagent les acteurs à choisir des actions qui ne sont...