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Cent huit ans de théâtre yiddish : L'EXCEPTION MONTRÉALAISE Jean-Marc Larrue1 Collège de Valleyfield O n trouve des traces de la présence du théâtre yiddish dans la plupart des grandes villes d'Europe et dans les métropoles américaines au cours des 125 dernières années, soit sous forme d'activité éphémère, due à une troupe de passage ou à l'action d'amateurs, soit de façon durable, grâce à des organisations stables et un public fidèle. Quel que soit le modèle observé, deux constats s'imposent : l'évolution du théâtre yiddish — son expansion ou son déclin — est étroitement liée, d'une part, aux aléas des mouvements migratoires de la population juive ashkénaze et aux modalités de son intégration aux sociétés qui l'accueillent (problème d'assimilation, de mariages mixtes, etc.), et, d'autre part, à l'effet dévastateur de la Deuxième Guerre mondiale. Le théâtre yiddish de Montréal a subi sensiblement les mêmes mouvements que le théâtre yiddish en général, mais la conjoncture montréalaise a permis à ce théâtre de connaître une destinée tout à fait singulière. L'état actuel de la recherche permet d'avancer que Montréal est sans doute le seul endroit au monde où le théâtre yiddish est demeuré actif, sans interruption, depuis plus de cent ans (en fait, cent huit ans), et ce, parfois grâce aux troupes de tournées, parfois grâce à des troupes locales — amateures ou professionnelles —, parfois grâce aux deux. Cette destinée exceptionnelle confère à Montréal l'une de ses belles singularités. Évidemment, les causes de cette pérennité sont complexes et multiples. On songe d'emblée à la présence d'organisations communautaires juives extrêmement dynamiques dans la ville, à commencer par l'œuvre du baron Maurice de Hirsch, et à l'influence de personnalités exceptionnelles qui ont pris en charge les destinées de leur communauté, une communauté démunie et réduite2 dont les membres, outre la religion et l'expérience traumatisante des persécutions et de l'immigration, n'avaient qu'une chose en commun : la langue yiddish. Mais il ne faudrait pas sous-estimer non plus le rôle considérable qu'ont joué d'autres organisations — non juives — dans le développement de la culture yiddish à Montréal, et en particulier dans celui du théâtre yiddish. On le sait, les rapports qu'a entretenus aufildes années la communauté juivemontréalaise avec les milieuxfrancophone et anglophone n'ont pas toujours été aussi harmonieux qu'on le souhaiterait. Mais s'il est vrai que la vitalité du théâtre yiddish à Montréal revient d'abord à la ténacité remarquable des Juifs eux-mêmes, il est également vrai que les non-Juifs ont contribué à ce succès et à cette longévité sans pareille. De sorte que, aujourd'hui, le théâtre yiddish appartient autant à la tradition juive locale qu'au patrimoine culturel montréalais. Il en est même l'un de sesfleurons! Le théâtre de l'exil Rappelons que le théâtre yiddish, pris dans son ensemble, a une particularité qui le distingue d'emblée de la plupart des autres pratiques théâtrales occidentales : il est l'expression d'une minorité — éclatée et dispersée — et il est marqué par les persécutions. En fait, l'évolution du théâtre yiddish et son expansion territoriale dans le monde sont, en bonne partie, directement liées aux conditions de vie des Juifs qui habitaient dans la Grande Russie de la fin du XIXe siècle, une Russie qui incluait alors la Pologne et la Lituanie. Après des siècles de persécutions périodiques, les Juifs de Russie et d'Europe orientale avaient connu une paix relative grâce au tsar Alexandre II. Mais l'assassinat, en 1881, de ce monarque relativement progressiste allait réveiller de vieux démons et déclencher une vague de répression sans précédent, non seulement contre certains groupes et mouvements politiques, mais aussi contre des communautés jugées suspectes, parmi lesquelles se trouvaient les minorités luthériennes de la Baltique, les catholiques de Lituanie et, bien sûr, tous les Juifs russes. Les pogroms, qui ont marqué l'accession au trône du jeune Alexandre III, ne tardèrent pas à se multiplier...

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