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À la découverte de la littérature YIDDISH MONTRÉALAISE Pierre Anctil Université d'Ottawa D 'un point de vue francophone, soit situé à l'extérieur à la culture juive, le fait de constater qu'il ait pu exister à Montréal dès le début du XXe siècle une littérature yiddish de grande envergure est propre à soulever une réaction de stupéfaction. Parcourant même de manière superficielle les contours de ce corpus très vaste en langue non officielle, le lecteur de langue française va de surprise en étonnement, tant ces écrits étaient restés jusqu'ici tout à fait hors de la sphère de perception culturelle majoritaire. Comment, somme toute, a-t-il pu exister dans la métropole québécoise une autre tradition littéraire que la tradition française et anglaise, pleinement développée et dotée de lieux de création, d'édition et de diffusion, sans que le moindre écho ne soit parvenu aux oreilles des tenants des deux traditions dominantes? Ni les propos littéraires, ni lesmémoires, ni lesobservations intimesdesécrivains francophones ne font, en effet, état de contacts, même passagers, entre le monde des belles lettres yiddish et le leur, pourtant tout près géographiquement dans la ville et exprimant des émotions qui, en des circonstances autres, auraient été tout à fait communicables par-delà la frontière culturelle. Aujourd'hui, malgré des décennies de silence, le voile se lève peu à peu sur le continent littéraire yiddish de Montréal. Inexorablement, des bribes de textes apparaissent en traduction, ou sont prononcées dans la langue d'origine à l'occasion d'événements culturels où les deux communautés se trouvent présentes, qui révèlent aux francophones une écriture d'une ampleur et d'une richesse renversantes, et si profondément montréalaise. En soi, cette absence de commentaires mutuelsentre yiddishisants et québécisants, pendant des décennies, nous oblige à réexaminer notre compréhension de la montréalité, dont nous aurions négligé de considérer, en tant que francophone, une des grandes cultures littéraires, pourtant fortement inscrite à sa façon dans le paysage urbain depuis au moins un siècle. Comment comprendre en effet que, jusqu'à aujourd'hui, le yiddish n'ait été « lu » que par des Juifs, et les œuvres dans cette langue « parcourues » que par des yiddishophones? La réponse à cette interrogation tient peut-être à ce que la littérature yiddish a vécu blottie au pied du mont Royal, dans la stricte intimité du quartier immigrant juif, autrement connu sous le nom anglophone de Fletcher's Field et s'étendant de part et d'autre du boulevard Saint-Laurent, puis autour du parc Jeanne-Mance. Fréquentée de manière sporadique avant la Révolution tranquille par les francophones, qui n'y venaient le plus souvent que pour réaliser des transactions commerciales à petite échelle et dans des situations de marginalité économique assez marquée, cette zone a abrité pendant une quarantaine d'années l'essentiel des institutions culturelles et scolaires montréalaises de langue yiddish.Jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale, et même un peu après, lors d'élections, par exemple, l'affichage en yiddish était courant sur la Main et dans les rues environnantes, notamment au coin de Duluth, où le principal journal yiddishophone de Montréal avait pignon sur rue. De toute évidence, cela n'a pas suffi à éveiller la conscience des quelques lettrés francophones, qui auraient pu s'aventurer sur le boulevard Saint-Laurent avant les années 1960. Cette discrétion presque totale, et l'opacité de la langue yiddish aux yeux et aux oreilles des francophones, ont par ailleurs permis aux écrivains appartenant à cette culture de s'exprimer en toute liberté, sûrs qu'ils étaient de n'être compris qu'au sein de leur communauté linguistique immédiate. Il reste que lesprincipaux paramètres de cette littérature yiddish montréalaise nous échappent toujours, pour l'essentiel, et que très peu d'études ont été publiées à ce sujet depuis les vingt dernières années, ni n'ont été effectuées par des personnes n'appartenant pas en propre à la culture immigrante juive esteurop éenne1 . Pour les francophones en particulier, ce corpus est resté illisible depuis les débuts de son émergence, soit depuis près d'un siècle, bien à l'abri des regards indiscrets du fait...

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