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L'HOMELIE DE CAMBRAI : ECRITURE BILINGUE ET TRADUCTION DANS LES MILIEUX IRLANDAIS DU VIIe SIECLE Jean-Michel Picard D ans la longue histoire de la formation de l'Europe, l'époque carolingienne tient une place de choix, en particulier à cause de la dimension culturelle de la politique de Charlemagne. Les historiens médiévaux et modernes ont surtout vanté le renouveau des arts et des lettres latines ainsi que la réorganisation de l'enseignement à la cour impériale et dans les milieux religieux. Pourtant, l'un des aspects importants de la réforme carolingienne a été aussi d'encourager l'emploi des langues vernaculaires dans l'Eglise franque. Le Concile de Francfort en 794 autorise les fidèles à prier Dieu en toute langue et non plus seulement dans les trois langues sacrées (Capitulare Francofurtense, § 52). La série des grands conciles réformateurs tenus à Arles, Châlon, Mayence et Tours en 813 préconise la création d'écoles, mais aussi l'usage de la langue populaire lors des sermons pour que le peuple ait accès au message divin. Le Concile de Tours demande même de faire traduire en langue romane ou germanique (transferre ... in rusticam Romanam linguam aut Thiotiscam) les homélies qui contiennent des conseils importants en matière de foi, et surtout d'escatologie (Concilium Turonense, § 1). A ce mouvement correspond l'apparition dès la fin du VIIIe siècle de textes écrits en langue allemande. Une centaine d'années plus tôt, l'Irlande connaissait un âge d'or d'expression littéraire à la fois latine et gaélique. Le VIIe siècle est l'époque où furent composées les sagas irlandaises du cycle des Héros, les textes légaux ecclésiastiques et séculiers, et les dossiers hagiographiques des grands saints d'Irlande. La correction du latin d'hagiographes comme Muirchû ou Adomnân 26 JEAN-MICHEL PICARD laisse entrevoir l'excellent niveau d'éducation qui existait dans les écoles irlandaises. C'est probablement vers la fin du VIIe siècle que fut rédigé le plus ancien texte continu en langue gaélique qui nous soit parvenu. Il s'agit d'un fragment d'homélie inséré dans une copie de la Collection Canonique Irlandaise écrite pour Alberic, évêque d'Arras et de Cambrai entre 763 et 790 et qui est actuellement conservée à la bibliothèque municipale de Cambrai sous la cote 679. Cette Homélie de Cambrai est un texte bien connu des spécialistes de l'irlandais ancien : il a déjà fait l'objet, d'une part de remarques philologiques sur sa langue archaïque, d'autre part de commentaires sur son contenu spirituel, en particulier sur les définitions du martyre qui y sont exprimées. C'est aussi le premier exemple d'un mode d'expression encore pratiqué en Irlande, celui du discours bilingue.De nos jours ce sont des mots ou des phrases entières en langue anglaise qui se mêlent à l'énoncé en gaélique, en particulier dans le discours public. C'est un phénomène semblable que nous pouvons observer dans L'Homélie de Cambrai. Contrairement au genre du sermon dont le thème moral ou religieux est de nature générale, l'homélie suppose un commentaire exégétique précis d'un passage de l'Ecriture. VHomélie de Cambrai commence donc par le texte latin de l'Evangile selon saint Matthieu (Mt 16, 24 ; cf. Me 8, 34 et Le 9, 23), aussitôt expliqué en irlandais par un commentaire sur le sens général de la phrase : In Domine Dei Summi Si quis uult post me uenire, abneget semetipsum et tollat crucem suam, et sequatur me. Insce inso asber ar féda Isu fri cach n-oein din chenéiu dôine are n-indarbe analchi ôod ocus a pecthu ocus ara tinôla soalchi ocus are nairema futhu ocus airde cruche ar Christ, céin bes i commus coirp ocus anme, aire sechethar slictu ar fédot i ndagnimratib . (Cambrai 679, fol. 37 v) Au nom du Seigneur Dieu très haut Si quelqu 'un veut venir à ma suite, qu 'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et qu 'il me suive ! Voilà les paroles que Notre Seigneur Jésus dit à chacun des êtres humains pour qu'il chasse de lui-même ses vices et ses péchés...

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