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« Europe, traduction et spécificités culturelles »
- University of Ottawa Press
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EUROPE, TRADUCTION ET SPECIFICITES CULTURELLES Claudine Lécrivain La perspective qui est la mienne autour du thème « Europe et traduction » possède comme point de départ une série de questions étroitement liées que je résumerai en une seule formule : l'Europe a-t-elle modifié l'espace de la traduction ? Autrement dit, comme projet et comme aventure historique en pleine construction prétendant à l'union politique et économique dans le respect de la pluralité linguistique et culturelle, l'Europe a-t-elle altéré la démarche des traducteurs, des théoriciens, des spécialistes ? A-t-elle fait varier certains modes de traduire ? En définitive, depuis que les propos sur l'unité dans la différence imprègnent la plupart des discours, a-t-elle modifié dans l'espace de la traduction la vision de l'Autre ? Vaste réflexion qui devrait faire l'objet de recherches exhaustives1 , mais que je limiterai ici au traitement des particularités culturelles dans les traductions littéraires actuelles de la France et de l'Espagne2 , publiées pendant les dix dernières années par les grandes maisons d'éditions (traductions récentes donc, mais aussi rééditions actuelles de traductions antérieures, pour lesquelles il n'a pas étéjugé bon de proposer de nouvelles versions). Mon interventionne constitue qu'une simpleapproche du phénomèneà étudier, une étude plus vaste réclamerait un corpus clairement délimité et l'inclusion de paramètres que l'espace imparti m'empêche d'intégrer. Ma perspective étant une perspective d'enseignante, je m'inscris dans une tendance qui vise à reconsidérer l'écrit littéraire comme outil de formation, car les traductions littéraires constituent un excellent matériel d'observation pour s'initier à une réflexion théorique et à une pratique traduisante, même si les conclusions sont à nuancer pour certains textes dont la fonction divergefondamentalement. 1 2 346 CLAUDINE LECRIVAIN J'ai donc décidé de «réinterroger» les stratégies liées aux phénomènes culturels, et plus concrètement l'adaptation, considérée comme procédé ponctuel qui porte sur certains segments du discours et non pas sur la totalité d'un texte (Bastin, 1990 et 1993), et consiste principalement à proposer des équivalents dans les textes-cibles, pour les éléments culturels qui ne sont pas communs aux deux sociétés ou qui ne le sont que partiellement. L'étude du mécanisme d'adaptation englobe donc deux aspects complémentaires, deux niveaux d'une même recherche : d'une part le couple « Culture et Traduction » où l'on analyse comment des cultures données conçoivent la traduction, son rapport à l'Autre, à l'Etranger. Et d'autre part le couple « Traduction et Culture » qui analyse les modes de traduction du fait culturel propre de l'Autre (Cordonnier, 1989). Mon objectif est de situer ce point précis des comportements« traduisants », c'est-à-dire d'analyser leurs caractéristiques, et d'essayer de déterminer comment ils fonctionnent et où ils se situent par rapport à ma question initiale, ce qui me conduira à m'interroger sur la validité ou la relativité du procédé, et sur la pertinence de ses objectifs. Je ne reviendraipas ici, même succintement, sur la notion de culture3 et sur ses différentes manifestations qui pourront être dans l'ensemble affectées par l'adaptation. Je rappellerai néanmoins qu'en traductologie le terme culture englobe généralement l'ensemble des représentations mentales collectives et des comportements qui leur sont liés, ainsi que les notions de civilisation, en tant qu'aspects corrélatifs du mode de vie d'un groupe dans un contexte donné. L'appréhension et l'identification explicite des traits culturels dans un texte est complexe et difficile, tant leur nature est différente : marqueurs de type lexical, types de formulations de la réalité ou des symboles impliquant des divergences de valeur ou d'évocation, mais aussi systèmes ponctuationnels, dispositions et marqueurs typographiques, rapports texte/image, phénomènes d'intertextualité, etc. Dans le cadre de mon intervention, il est impossible d'aborder tous ces aspects, et, pour des commodités d'exposition, je m'en tiendrai aux marqueurs culturels de type lexical, qui sont les manifestations les plus immédiates des spécificités culturelles. J'en assume néanmoinsles limitations dans la mesure où ce sont des instantanés parcellaires qui peuvent posséder...