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LA TRADUCTION COMME ETHOS EUROPEEN : LE CASDE PAUL CELAN AlexisNouss On peut célébrer l'Europe en traduction, Europe multilangagière, babelienne ou pentecôtiste selon les goûts, version langue sacrée ou version volapiik, avec optimisme et résolution. Ainsi Umberto Eco :« II faut placer notre espérance dans une Europe polyglotte. [...] Le problème de l'Europe, c'est de trouver une unité politique à travers ce polyglottisme. » (Le Monde, 29 septembre 1992). Les raisons en seraient politiques, tant à l'échelle européenne - une diversité langagière pour éviter la domination d'un seul état - qu'à l'échelle mondiale - laglobalisation deséchanges, dont ceux de l'information et des connaissances. Pour Eco la motivation est aussi historique dans la mesure où la visée d'une langue parfaite s'inscrit dans le projet culturel de l'Europe depuis l'Antiquité et marquerait en permanence son évolution, malgré ses divisions politiques. La conclusion de son ouvrage La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne, après une section sur Babel, en consacre une à la traduction, propre à réchauffer le cœur de tout traductologue. Etonnamment peu réaliste, cependant, dans la mesure où Eco prône des procédures traductives dans le sillage de la théorie de Nida dont on sait les limitations sur les plans pratique et surtout idéologique. La cause est néanmoins entendue et pourrait trouver appui chez Claude Hagège (1992) ou Louis-Jean Calvet (1993). Je préfère citer Mozart, sans musique : « Je say Dir veramente nihil mehr di scribere, und dessentwegen Je faisois un piccolo quodlibet. » (brouillon d'une lettre à sa sœur, datée du 21 avril 1770) ou Joyce, premières lignes de Finnegans Wake : « Sir Tristram, violer d'amores, fr'over thé short sea, had passencore rearrived from North Armorica [...]. » (1969 : 3) 248 ALEXIS NOUSS Je pourrais de même rappeler qu'Antigone, après le grec, parla français, anglais, italien, allemand et d'autres langues européennes encore, que Virgile parla allemand sous la plume de Broch et Ulysse anglais sous celle de Joyce. On ne s'est jamais étonné de ce qu'Othello parle anglais (Shakespeare) ou italien (Verdi) ou de ce que Figaro puisse parler italien sur une scène viennoise. Le Don Juan de Molière parle français, le Faust de Valéry aussi. Exemples connus qui pourraient être multipliés et aisément conforter un vibrant plaidoyer soulignant le lien naturel entre Europe et traduction. Une question pourtant se pose : si la vocation naturelle de l'Europe est de nourrir une culture de traduction, une culture en traduction, pourquoi et comment at -elle radicalement pu faillir à sa mission, trahir son essence, ce qu'elle fit il y a un demi-siècle ? Quelle en est l'implication quant à la vérité ou l'authenticité d'une telle dimension traductive ? Dans un volume collectif intitulé Imaginer l'Europe, Paul Ricœur, à l'interrogation « Quel éthos nouveau pour l'Europe ? », propose trois modèles afin de guider les transformations de mentalités : en « ordre croissant de densité spirituelle» (1992 : 108), il s'agit des modèles de la traduction, de l'échange des mémoires et du pardon. Les trois énoncés se déclinent dans une relation d'interdépendance sous la forme d'un passage obligé de l'un à l'autre. Traduire une culture signifie traduire une mémoire, la connaître donc dans une constitution identitaire réciproque et le pardon permet le plus difficile :« l'échange de la mémoire des souffrances infligées et subies » (ibid. : 114). Il consiste à briser la dette, non pas à l'abolir mais à en lever la peine. Et c'est sur ce point que ma lecture de Ricœur devient hésitante, freinée par ses prémisses morales. Car si le pardon permet l'échange des mémoires et l'échange des mémoires la traduction, celle-ci signifierait aussi la traduction des souffrances. Mais lorsque la souffrance est intraduisible ? Quand elle ne dépend pas d'une normalité pathologique qui peut être ramenée à l'expérience et au savoir mais qu'elle provient de l'exercice d'un mal radical dont la radicalité pulvérise toutes les catégories de connaissance, de morale et de politique sur lesquelles se fondait la culture européenne ? La traduction s'autoriserait d'une traductibilité inhérente au langage considéré comme logos. Que se passe-t-il quand le...

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