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MEDIATION ET CULTURE MINORITAIRE LES TRADUCTEURS ALLEMANDS DE ROUMANIE AU XXe SIECLE Claire de Oliveira és à la confluence de deux cultures et de deux mondes, les Allemands de Roumanie se distinguent des autres minorités de l'Est - Allemands des Sudètes, de Hongrie ou de la Volga - en ceci que leur littérature se double d'une immense œuvre de traduction établissant un lien permanent entre culture roumaine et culture allemande. Ils ont appris à« penser dans l'esprit de plusieurs peuples », selon les termes employés par Franz Liebhard, d'origine slovaque par sa mère et qui a d'abord publié en langue hongroise avant de transposer ses propres poèmes en roumain (Liebhard 1979 : 16). L'apport constant de la culture germanique à la vie littéraire du peuple roumain est principalement dû à l'activité des minoritaires allemands. La tradition d'une interférence entre ces deux peuples est liée à l'histoire de l'espace carpathique : d'abord incluses dans l'empire austro-hongrois jusqu'au rattachement de la Transylvanie à la Roumanie après la Première Guerre mondiale, les minorités allemandes ont été soumises à une dépendance vis-à-vis de l'idéologie nazie qui n'a vraiment cessé qu'en 1944, quand la Roumanie s'est retournée contre son ancien allié. Ensuite, pendant plusieurs décennies, l'antagonisme des deux contextes socio-politiques de l'Est et de l'Ouest a contribué à entretenir la grande réceptivité aux influences exogènes qui caractérise ces groupes ethniques. Le nombre des Allemands de Roumanie demeurés dans le contexte germano-roumain s'est considérablement réduit : un million au début du siècle, ils ne sont plus guère que cent mille à résister dans un pays dont leur minorité semble appelée à disparaître. Ses éléments saxons, de religion luthérienne, ont colonisé la Transylvanie au XIIe siècle, peu avant l'arrivée des Chevaliers N 238 CLAIRE DE OLIVEIRA teutoniques, relayés par des Souabes catholiques venus s'établir dans le Banat autrichien au XVIIIe et par les Allemands de Bucovine, juifs pour la plupart. Après des années de lutte contre la magyarisation, le groupe souabe répond à l'oppression par un remarquable essor culturel, produisant une littérature minoritaire de résistance qui trouvera son apogée, dans les années soixante-dix, avec le « Groupe d'Action du Banat » réunissant déjeunes poètes originaires de Timisoara. Dans le creuset multiculturel de l'université de Czemovitz, les intellectuels juifs de Bucovine ont véhiculé les tendances des avant-gardes viennoises et pragoises, publiant des vers que Margul-Sperber avait qualifié de«poésie invisible»1 , tant sa culture, faite de souvenirs de l'empire austrohongrois , était en décalage par rapport à celle du pays roumain où cette littérature voyait lejour. Dans ces conditions, la pratique de la traduction devint un palliatif aux difficultés de l'expression. Il convient donc d'étudier ce qui, surtout au début du XXe siècle, a pu constituer les prémisses d'une telle médiation, en s'interrogeant sur la fonction spécifique de cette traduction et sur l'identité de ses principaux agents. Sur le plan théorique, l'activité des traducteurs minoritaires pose la question du rapport entre bilinguisme et traduction. Il n'existe sans doute jamais de bilinguisme total, mais plusieurs degrés et plusieurs formes de bilinguisme. Georges Mounin distingue ainsi le « bilinguisme professionnel » des traducteurs et le « bilinguisme courant », soit la pratique collective d'une population (Mounin 1963 : 3). Les traducteurs germano-roumains apparaissent comme des virtuoses linguistiques qui ont maintenu distincts leurs deux instruments de langage afin de s'intégrer tout en sauvegardant leurs propres traditions culturelles et en produisant une œuvre de traduction à côté de leurs créations propres. Leur bilinguisme à la fois « courant » et« professionnel », pour reprendre les catégories de Mounin, les place donc encore dans une situation de double appartenance. Or comme la traduction ne saurait se réduire à une opération linguistique mais qu'elle est une opération sur des faits ethnographiques liés à une civilisation donnée (Herbert 1952 : 15), nul n'est mieux placé que le minoritaire pour connaître le peuple dont il a investi l'espace géographique et culturel. Ce qui caractérise le traducteur bilingue appartenant à un tel groupe ethnique, est donc une pratique de la traduction qui s'effectue fréquemment dans les...

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