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« Le classicisme français face à l'Espagne »
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LE CLASSICISME FRANÇAIS FACE A L'ESPAGNE Guiomar Hautcœur E voquer les rapports entre le Classicisme Français et l'Espagne pourrait sembler, au premier abord, relever du défi. On sait bien en effet que la grande époque de l'influence espagnole est celle du règne de Louis XIII. En revanche, la période classique a été le plus souvent définie comme un moment d'épanouissement de la culture française par excellence. Aussi un bref aperçu de la production littéraire des années 1660-1680 révèle-t-il un net ralentissement de la traduction d'auteurs Espagnols. Est-il possible cependant de croire que les années 1660 aient représenté une fracture telle que deux générations de lettrés et d'écrivains soient devenus étrangers les uns aux autres ? A l'envisager de plus près, cette période n'apparaît pas aussi autarcique qu'on le croit. Un des grands débats esthétiques du classicisme, la querelle des Anciens et des Modernes, révèle discrètement la présence d'un modèle espagnol dans le domaine romanesque. Cervantes et quelques autres auteurs de nouvelles (dont Maria de Zayas y Sotomayor, Castillo Solôrzano et Juan Ferez de Montalbàn sont les plus connus) avait été traduits et imités jusqu'en 1660. Mais si l'on ne traduit presque plus de fictions narratives espagnoles dans la deuxième moitié du siècle, l'influence exercée par ces dernières en termes d'imaginaire romanesque persiste, c'est ce que nous voulons montrer ici, au cours de la période classique. Mais pourquoi s'attacher ainsi au genre romanesque ? La querelle des Anciens et des Modernes qui éclate en 1687 au sein même de l'Académie française, avec la lecture du Siècle de Louis le Grand par Perrault a, on le sait, pour origine, un débat sur l'épopée où les défenseurs du Tasse, mais aussi de Chapelain et Desmarets de Saint-Sorlin 80 GUIOMAR HAUTCŒUR s'opposent, au nom du merveilleux chrétien, à ceux qui vénèrent exclusivement Homère et Virgile. Mais c'est curieusement autour du roman que la discussion semble la plus polémique. Le roman, qu'aucun traité de poétique n'est jamais venu codifier, aurait dû selon toute logique être stigmatisé par les Anciens et défendu par les Modernes. Pourtant, le seul représentant côté Anciens de cette position extrême est Boileau qui, dans son Dialogue des héros de roman fait une critique acharnée du genre romanesque dans son ensemble. De fait et contre toute attente, le roman se trouve autant et même plus que l'épopée au centre de la controverse : il se substitue à elle d'une certaine manière. En effet, la production épique était au XVIIe siècle presque inexistente au regard de la production romanesque. Mais surtout, l'absence de définition normative du roman au moment de la querelle permettait aux uns et aux autres de se réclamer d'une conception différente du genre. Ainsi lorsqu'Anciens et Modernes débatent sur le roman, ils ne se réfèrent pas aux mêmes textes. Les Anciens défendent les « romans héroïques» qui ont paru jusque dans les années 1660 tandis que les Modernes se réclament des « nouvelles » et « historiettes » qui ont cours au moment même où ils écrivent. Or dans la première moitié du siècle, alors que les auteurs français ne produisaient pas encore de nouvelles, celles des espagnols connaissaient un vif succès en traduction. Nous allons donc essayer de mettre en lumière, dans le dialogue souvent confus et contradictoire de la querelle, la présence diffuse d'un modèle romanesque espagnol, Moderne et contemporain qui s'opposerait au modèle antique et serait le signe d'un renouvellement des formes narratives à la période classique. 1. Du côté des Anciens a) Le modèle épique S'ils critiquent le Tasse et l'Arioste, la plupart des Anciens accordent paradoxalement au roman héroïque une glorieuse filiation épique. En effet les longs romans de Gomberville, La Calprenède et Mademoiselle de Scudéry sont estimés dans la mesure où ils respectent la poétique aristotélicienne. En 1688, dans son Histoire Poétique de la guerre des...