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INTRODUCTION
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INTRODUCTION On a souvent dit de l'interprétation qu'elle arrivait au deuxième rang des professions les plus anciennes de l'histoire. Il est vrai que la fonction d'interprète remonte « à l'aube de l'humanité et est plus ancienne que celle de traducteur (de textes écrits), le mot étant très antérieur à l'écriture » (Haensch, 1965 : 3; notre traduction de l'espagnol). Pourtant, au début du XXe siècle, la figure de l'interprète de conférence n'existait pas comme telle. Les premiers à interpréter lors des rencontres multilatérales apparues après la Première Guerre mondiale venaient d'autres professions et, si des circonstances particulières les menèrent vers l'interprétation, jamais, du moins au début, ils ne pens èrent que cette activité pourrait devenir leur profession. Socialement, on peut dire que le métier d'interprète ne correspondait à rien, d'où la quasi-impossibilité de se reconnaître dans ce genre d'activité. À l'époque, en outre, la « communauté internationale », au sens où nous entendons cette expression à l'heure actuelle, faisait ses premiers pas, et personne ne pouvait imaginer que les conférences multilatérales acquerraient une régularité et une fréquence qui justifieraient la présence de professionnelsde l'interprétation. Qui plus est, cemétier ayant pris naissance de façon spontanée, c'est-à-dire sans préparation particuli ère préalable, il était assimilé à un art plus qu'à une profession. À la fin de la Première Guerre mondiale, les Alliés, victorieux, et tout particulièrement le président Wilson des États-Unis, manifestèrent une volonté claire de voir naître une organisation devant permettre, par l'instauration de relations diplomatiques ouvertes et multilatérales, de prévenir d'éventuels conflits entre États. Ce dialogue multilatéral, solidement établi pour la première fois à la Société des Nations (SDN), allait faire perdre au français, langue traditionnelle de la diplomatie au cours des deux ou trois siècles précédents, son monopole. En même NAISSANCE DE L' INTERPRETATION DE CONFERENCE temps, la présence d'interprètes et de traducteurs au sein de la toute nouvelle fonction publique internationale devenait nécessaire. C'est dans ces conditions qu'est née l'interprétation de conférence au sens où nous l'entendons de nosjours. Ce travail combine deux domaines, l'histoire et l'interprétation, et le point de vue de départ est celui d'un interprète de conférence professionnel . On peut donc dire qu'il s'agit d'un travail de réflexion, guidé par l'intuition, comme c'est le cas de la majorité des études historiques consacrées à l'interprétation. Il diffère cependant de certains travaux antérieurs dans la mesure où il est fondé sur des sources originales et emploie la rigueur.méthodologique de l'historien, et ce pour« écrire l'histoire comme les historiens de profession » (Delisle, 19971998 :33). Cet ouvrage recrée le monde dans lequel évoluèrent pendant la première partie du siècle les interprètes spécialisés dans les relations diplomatiques, un monde qui intéresse autant l'historien de la traduction que l'historien en général, les interprètes ayant souvent assisté aux négociations secrètes entre des diplomates et des responsables politiques. Comme l'a en effet écrit Brian Harris (1993 : 115), « [l]es interprètes des diplomates sont intéressants de deux points de vue :ils sont le matériau même de l'historien de la traduction et, pour l'historien en général, ils constituent des témoins privilégiés dont les mémoires permettent de mieux connaître les événements auxquels ils assistèrent ainsi que les transactions secrètes menées entre les diplomates et les responsables politiques auxquels ils servirent d'intermédiaires » (notre traduction de l'espagnol). J'avais lu quelque part que Paul Mantoux avait été le seul interpr ète à la Conférence de la Paix de Paris en 1919, et cela a piqué ma curiosité. J'avais du mal à le croire et, voulant en savoir davantage,j'ai commencé des recherches sur nos prédécesseurs dans la profession.Je pensais, au départ, que mes entrevues avec les vétérans de l'interprétation constitueraient une source de renseignements inestimable, mais j'ai bien vite compris que leurs souvenirs...