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Préface Carol Shields nous a légué une œuvre empreinte d’une vive perspicacité et d’un humour subtil, une œuvre qui rassemble des textes riches en images, regorgeant de merveilles stylistiques. Elle a affirmé à maintes reprises s’intéresser plus à l’aspect langue qu’à l’intrigue du texte fictif ou, en d’autres termes, plus à la narration ou à la composition qu’au récit proprement dit. Cette prédilection se manifeste tout particulièrement dans le cas des nouvelles, genre littéraire qui se prête peut-être plus aisément que le roman à l’expérimentation et aux exercices de style. La nouvelle littéraireestcaract ériséeparlaconcision :riendecequ’ellerenferme n’estfortuitousuperflu.Àcechapitre,EdgarAllanPoeaaffirmé que ce type de récit «ne doit pas renfermer un seul mot qui ne contribue pas, de manière directe ou indirecte, à l’objectif fixé1 ». L’auteur d’une nouvelle ne dispose généralement que d’un petit nombre de pages pour réaliser son projet, contrairement au romancier, qui est plus libre de digresser – p. ex. en explorant des fils narratifs secondaires. Puisque la nouvelle doit opérer à l’intérieur de limites strictes, son auteur est tenu 1. POE, Edgar Allan (1984). «Twice-Told Tales», Essays and Reviews, Library of America, p. 572. vi Le Carnaval du quotidien d’exploiter le plein potentiel esthétique de cet espace restreint. Chaque mot est soigneusement pesé, ce qui transforme la narration en un texte hautement poétique et évocateur. Sans vouloir insinuer qu’il existerait, en traduction, une hiérarchie des difficultés des genres littéraires, il est possible d’avancer que dans la nouvelle, chaque décision langagière est lourde de conséquences. Ce type de prose comporte une multitude de défis pour la traductrice qui en assure le passage interlinguistique , car les solutions qu’elle trouve ne produisent pas toujours la même image ou la même sonorité que dans la langue d’origine du texte. Qui plus est, dans le cas d’un recueil, l’exercice se renouvelle sans cesse, puisque chacune des nouvelles renferme son propre lot distinct de contraintes stylistiques. Malgré la présence de certains leitmotivs tels que l’aspect autoréférentiel et les thèmes métafictionnels – où Shields utilise la narration pour présenter, de manière directe ou métaphorique, des réflexions sur la nature de la fiction, l’acte de l’écriture et la figure de l’auteur –, le présent recueil forme un tout nettement moins uniforme que le roman traditionnel. La traduction de ce recueil a été une occasion de relever ces défis, qui ne peuvent qu’enchanter une traductrice littéraire, en plus de permettre la parution, pour la toute première fois en français, de nouvelles d’une de nos plus grandes écrivaines canadiennes de langue anglaise, dont les textes explorent des idées tantôt touchantes, tantôt complètement saugrenues. J’ai aussi été motivée par l’espoir que ma traduction permettrait au lectorat francophone de découvrir un côté de l’œuvre de Shields qui reste trop souvent dans l’ombre. De manière globale, ses romans ont joui d’une plus grande notoriété : d’une part, en raison des nombreux prix qu’ils ont remportés et, d’autre part, parce qu’à ce jour, un seul de ses trois recueils de nouvelles a été publié en français (Miracles en série2). Les nouvelles de Shields semblent avoir été écrites dans un esprit autre que ses romans, lesquels ont concouru à lui tailler la 2. SHIELDS, Carol (2004). Miracles en série, Éditions Triptyque. Traduction de Benoît Léger. [3.147.103.8] Project MUSE (2024-04-19 06:12 GMT) Préface vii réputation de chantre du quotidien. Bien qu’elles abordent des thèmes semblables à ceux qui reviennent dans ses romans, les nouvelles de Shields dévoilent son côté ludique et une imagination féconde. Il est néanmoins intéressant de constater que les critiques s’en tiennent presque systématiquement à la réputation que lui ont value ses romans, même lorsqu’il est question d’un recueil comme Le Carnaval du quotidien. En effet, malgré la nature assez fantaisiste et expérimentale de ce recueil, nombre des comptes rendus de chroniqueurs et de critiques littéraires semblent tellement influencés par ce qui déjà a été dit de Shields qu’ils délaissent largement...

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