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3 La christologie d’un apocryphe: une christologie apocryphe? Le cas des Actes de Thomas
- Wilfrid Laurier University Press
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3 La christologie d’un apocryphe: une christologie apocryphe? Le cas des Actes de Thomas PAUL-HUBERT POIRIER YVES TISSOT DANS L’INTRODUCTION à sa traduction des Actes de Thomas parue dans la nouvelle édition des Neutestamentliche Apokryphen de W. Schneemelcher , Han J. W. Drijvers estime que ces Actes ne connaissent à proprement parler aucune sotériologie entendue au sens d’une doctrine d’un sauveur1. Des concepts comme ceux de péché ou de grâce ne s’y rencontreraient pas, pas plus que n’y seraient mentionnées l’incarnation, la crucifixion, la résurrection ou l’ascension du Christ. Cependant, dans une précédente étude consacrée aux formes primitives de la christologie antiochienne2, le même auteur voyait dans les Odes de Salomon et les Actes de Thomas deux témoins privilégiés dont l’apport permettrait de combler le «vide historique» existant entre les conceptions du second siècle relatives à la personne et à l’œuvre du Christ, et la christologie antiochienne classique telle qu’elle s’est développ ée à la fin du IVe siècle dans l’école d’Antioche. D’autre part, en 1952, C. L. Sturhahn3 a consacré une thèse à la christologie des Actes apocryphes , dont un des chapitres traite de la christologie des Actes de Thomas. Sturhahn s’est intéressé avant tout à ce qu’il appelle les énoncés kérygmatiques («Kerygmata») des Actes de Thomas, au double point de vue de la christologie et de la conception des sacrements. Il distingue deux types de«Kerygmata», les uns relevant du christianisme commun («allgemeinchristlich »), les autres, gnosticisants. En ce qui concerne la christologie, il range parmi les premiers tous les passages à résonnance néotestamentaire, ou qui se réfèrent aux récits synoptiques de la passion. À la seconde catégorie, 39 il attribue des passages comme ceux du chap. 45,3, où le sauveur vainc les démons en les trompant par un déguisement charnel, du chap. 72,1, qui, dans le texte grec, affirme que le sauveur est «devenu comme (ñH) un homme», ou du chap. 153,1, qui qualifie Jésus de «polymorphe». Pour Sturhahn , même si les Actes reprennent des éléments christologiques traditionnels , ils les relativisent pour les mettre au service d’une christologie gnostique au centre de laquelle domine la figure d’un salvator salvandus qui, en dépit de son abaissement, appartient néanmoins au monde supérieur. Nous verrons plus loin ce qu’il faut penser de ces appréciations. Pour le moment, tournons-nous vers les Actes de Thomas4. Leur lecture, même rapide, montre qu’ils offrent, surtout dans les nombreuses hymnes et prières qu’ils renferment, un très riche matériau christologique , dans lequel les titres du Christ occupent certes une grande place, mais dont les développements plus ou moins longs sur l’œuvre du Christ ou sur sa relation au Dieu-Père ne sont pas absents. L’étude de ce matériau est cependant rendue difficile par la situation textuelle des Actes de Thomas. Ceux-ci sont en effet attestés par deux versions dont aucune, dans l’état actuel des choses, ne peut être considérée comme originale par rapport à l’autre, et le fait est que ces versions sont le point d’aboutissement d’une histoire rédactionnelle particulièrement complexe5. Par ailleurs, le genre littéraire des Actes de Thomas — un long récit romanesque dans lequel ont été insérés des discours, des hymnes et des prières — ne facilite guère l’étude pour elle-même d’une question théologique ou dogmatique comme celle de la christologie. Il est en effet difficile de délimiter et d’extraire de leur contexte narratif des développements dont l’examen ferait apparaître la christologie des Actes. Mais on ne peut non plus, au risque d’aboutir à une énumération répétitive de thèmes et de titres, se contenter de suivre le fil du récit et de relever, au fur et à mesure de leur apparition, les éléments de christologie que recèleraient les Actes de Thomas. Pour notre part, nous avons retenu un certain nombre de passages des Actes de Thomas, qui nous ont paru avoir un contenu ou une incidence christologique particulièrement forte. Ces passages ont été, aux fins de la présente analyse, regroupés sous trois chefs, selon qu’ils parlent (1) du Christ dans sa...