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CHAPTER 2: Les représentations du « home » dans les romans historiques québécois destinés aux adolescents
- Wilfrid Laurier University Press
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Récemment, la grande romancière américaine Alison Lurie rappelait que « dans les classiques de la littérature pour la jeunesse , le héros est généralement un enfant qui quitte son foyer et sa famille et connaît diverses aventures avant de regagner son foyer » (132). On comprend alors pourquoi la critique anglo-saxonne a fait du concept du « home » un axe essentiel dans sa recherche d’une spécificité de la littérature enfantine : « My impression is not only that home is the dominant place in children’s literature, but also that the house is the chief form it takes2 » (Wolf 54). Mais, le « home » qui mobilise l’attention des sciences humaines comme la géographie, la sociologie, la psychologie, la psychanalyse, l’ethnographie et l’architecture reste cependant un concept aux frontières difficiles à délimiter tant il couvre un champ sémantique étendu et nourrit un large et riche réseau de connotations3 (Sopher; George; Hayward). Ces connotations varient non seulement d’une culture à l’autre mais également au sein d’une même culture, car le « home » est au centre d’enjeux fondamentaux dans les représentations de l’environnement géographique, physique, mais aussi psychique et idéologique. C’est à partir de lui que se conçoit une vision du monde qui dit le dedans et le dehors, l’ici et l’ailleurs, le même et l’autre, le moi et le non-moi. Aussi est-il difficile d’envisager un moi dissoci é de l’environnement dans lequel il a baigné et de répondre à la question « qui suis-je? » sans passer par cette autre question : « d’où suis-je? ». Nous venons tous de quelque part et nous sommes marqués par les lieux,° C H A P T E R 2 Les représentations du « home1 » dans les romans historiques québécois destinés aux adolescents Danielle Thaler et Alain Jean-Bart 27 les milieux, les paysages que nous avons traversés. Ils ont contribué à la formation de notre personnalité. Ainsi, le « home » est-il fondamentalement un espace « habité », profondément ancré dans la psyché, reflet de l’être et lieu d’une identité qui se forge4. Le concept a engendré une abondante littérature critique, à l’initiative, semble-t-il, des géographes comme Yi-Fu Tuan5, dans les années 1970. Si l’on cherche à saisir dans quelles grandes directions s’est orientée la critique en littérature de jeunesse quand elle reprend la problématique à son compte, on peut avancer qu’elle a surtout tenté de dégager un réseau d’antith èses où le « home » occupe un de deux pôles pour résumer les deux aspirations contradictoires qu’on prête à l’enfant, qui hésite entre la sécurité offerte par le foyer familial et l’excitation de l’aventure promise par le monde extérieur. Nous nous contenterons ici de rappeler hâtivement quelques-unes de ces orientations qui nous aideront à souligner certains aspects des romans du genre historique pour la jeunesse. Lorsque Clausen Christopher s’interroge sur ce qui constitue la spécificité d’un livre destin é aux enfants, il distingue deux visions antagonistes du foyer familial résumées dans l’antithèse « home » / « away »6. David Sopher avait déjà, quelques années auparavant, suggéré une opposition entre une conception« domicentrique » où le « home » reste fondamentalement le lieu où l’on se réfugie et une conception « domifuge » où le « home » est un lieu qu’il faut absolument fuir. Pour Jon C. Stott et Christine Doyle Francis, si le« home » favorise généralement l’épanouissement physique et émotionnel de l’enfant, de nombreux récits destinés aux enfants mettent en scène des personnages qui se sentent aliénés dans le milieu où ils vivent et tentent de lui échapper (« not-home »). D’autres oppositions ont été avancées :« home » / « adventure » (Watkins), « home » / « travel » (George 1-2),« home » / « journey »7. Il est certes des voyages sans retour, mais le nouvel espace géographique (et psychique?) colonisé et habité n’est-il pas inventé à l’image du « home » perdu? Il est fréquent que l’exilé ou l’immigrant reconstruise son nouvel environnement à l’image de son pays d’origine. Pour Porteous, l’espace géographique s’organise, en effet, à partir de l’opposition « home » / « non-home », car si l’individualisme est marqué par l’anthropocentrisme, l’ethnocentrisme et l’égocentrisme, il est aussi...