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lucien pelletier Postface. Transculturation et mémoire Par des voies contournées, le vocable forgé il y a plus d’un demi-siècle par Fernando Ortiz est donc parvenu sous les latitudes canadiennes. Jusqu’à récemment, sans doute, nous n’aurions pu vraiment l’entendre. « Transculturación », sous la plume de l’anthropologue cubain, évoquait les mouvantes synthèses et tensions d’une culture, ses asymétries internes, en un refus de subsumer et occulter certains éléments sous des prétentions normatives particulières comme s’y employait implicitement le terme « acculturation ». Or, ce n’est que bien plus tard que s’est exprimé au Canada pareil souci de prêter l’oreille aux tonalités même les plus contenues du contrepoint national et de leur reconnaître un rôle constitutif. Il y avait moins urgence, eût-on dit. La fameuse « mosaïque » canadienne, en effet, se distingue assez de ces syncrétismes et autres brassages culturels et ethniques auxquels a donné naissance, à Cuba et ailleurs, le viol généralisé des peuples conquis. Si l’histoire canadienne a connu elle aussi sa bonne part de conflits et de violences, rares, pourtant, furent les conjonctures qui permirent à l’un des groupes culturels s’étant trouvés aux prises d’entièrement marginaliser les autres : il fallait parvenir à un modus vivendi, à des compromis qui, comme toujours et quelque iniques soient-ils bien souvent, demeurent compliqués et contraints. Bon gré mal gré, au lieu d’acculturation, c’est de multiculturalisme qu’on en est plutôt venu à parler en nos parages, et le mot est même devenu un projet politique et constitutionnel consciemment embrassé. Si l’introduction du mot « transculturation » semble donc aujourd’hui prometteuse ,il importe cependant de bien repérer et évaluer les accents nouveaux dont 363 19_cheadle_postface.qxd 2007/06/21 13:32 PM Page 363 le charge un contexte passablement différent de celui en réaction auquel on l’avait d’abord conçu. Insister, comme on le fait volontiers maintenant, sur les transitions entre les cultures, c’est assurément révoquer une certaine conception surannée de la culture et du multiculturalisme. On se plaît à rappeler que les cultures ne sont jamais des touts aux limites clairement définies, que leurs frontières sont perméables et qu’on aurait tort de concevoir le multiculturalisme comme une mosaïque d’entités discrètes (Benhabib). Ces thèses paraissent difficilement contestables, tant s’est aiguisée notre conscience des déterminations sociales et historiques contingentes qui transissent toute culture. Le temps paraît définitivement révolu où l’on décryptait un sens éternel derrière la lutte que se livraient les peuples sur la scène de l’histoire universelle, chacun étant réputé s’efforcer d’exprimer et réaliser une idée distincte, une essence transcendante. Si le Canadien français, pour prendre cet exemple, se savait naguère né d’une race fière, s’il était confiant que le ciel eût marqué sa carrière en ce monde nouveau, nul de ses descendants ne s’aviserait aujourd’hui de répercuter pareil discours. (Que certains rappellent aujourd’hui les sources et dépendances culturelles plurielles du patrimoine québécois, son caractère construit et non originaire, cela n’a manifestement rien que de très légitime [cf. Turgeon, Patrimoines ]). À l’origine, pourtant, le compromis canadien tenait sa plausibilité précisément de cette représentation de peuples à l’identité bien marquée, héritiers de la puissante destinée spirituelle de leurs ancêtres européens respectifs, et qui, appuyés sur ce socle, s’obligeaient enfin à mutuelle reconnaissance. Devenue incroyable, cette conception essentialiste risque d’emporter dans sa chute l’existence même du Canada, de sa synthèse multiculturelle, réduite au coup de force qu’indéniablement elle a aussi été. On a beau jeu soit, comme les peuples autochtones, de rappeler que ladite synthèse s’est faite sans eux, faute qu’ils aient satisfait aux critères de « civilisation » requis par les pouvoirs politiques anglophone et francophone d’alors; soit, comme les souverainistes québécois, de dénoncer cette synthèse comme marché de dupes où le« biculturalisme » dans lequel les descendants de deux puissances coloniales traitaient censément d’égal à égal se voit finalement démasqué comme dispositif de pouvoir, sous les traits d’un « multiculturalisme » qui menace de ravaler le...

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