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Propos recueillis par lucien pelletier La migration culturelle de Robert Dickson S’il est fréquent que des écrivains issus d’une culture minoritaire choisissent la langue de la majorité pour s’exprimer, l’inverse a de quoi étonner. On a peine à comprendre qu’il soit ainsi possible d’opter pour l’exiguïté d’un public de lecteurs presque inexistant , de maisons d’édition précaires, et d’épouser les tourments d’une identit é culturelle condamnée à l’incertitude1. À cet égard, le poète Robert Dickson fait figure de véritable phénomène : anglophone issu d’un petit village du sud de l’Ontario, il s’est fait au long des trois dernières décennies l’un des plus énergiques promoteurs d’une culture francophone ontarienne à laquelle son nom reste désormais associé.Ayant été moi-même amené à m’intéresser de près à son action et à son oeuvre poétique, je me suis rendu compte que très peu de textes publiés à son propos s’étonnent de l’exceptionnel parcours de Dickson . J’ai donc demandé au poète, que j’avais le privilège d’avoir pour collègue à l’Université Laurentienne de Sudbury, s’il accepterait de répondre à mes questions sur sa migration culturelle et l’effet qu’elle exerce sur son travail d’écrivain. Il s’y est prêté avec générosité et une réelle modestie, au cours de deux longs entretiens réalisés le 20 mai et le 15 juillet 2004 dans sa chaleureuse demeure de la rue Patterson, à Sudbury2. Les pages qui suivent présentent dans un ordre reconstruit la plupart des informations que m’a confiées Dickson en réponse à des questions le plus souvent tâtonnantes. Il a évidemment fallu plier des paroles empreintes de spontanéité et d’émotion aux exigences de la langue écrite. J’ai tenu, en outre, à ce que Dickson lui-même relise et, au besoin, amende une première version du texte. (Les paroles de Dickson reprises à peu près intégralement sont signalées par des caractères italiques.) 177 10_cheadle_pelletier.qxd 2007/06/21 13:31 PM Page 177 Les lecteurs peu familiers avec l’oeuvre de Robert Dickson trouveront utile de savoir au préalable qu’au moment où les entretiens eurent lieu, le poète avait publié cinq courts recueils : Or«é»alité (1978), Une bonne trentaine (1978), Abris Nocturnes (1986), Grand ciel bleu par ici (1997) et Humains paysages en temps de paix relative (2002) (ce dernier ouvrage lui a valu le Prix du Gouverneur général du Canada)3. Il annonçait un nouveau recueil pour très bient ôt4. Dickson avait aussi réalisé plusieurs traductions, de l’anglais au français et inversement, dont il sera question plus loin. Stations Né en 1944, Robert Dickson est originaire d’Erin, un village situé sur la rivière Credit, près de Toronto. Il est issu d’une famille modeste. Il déclare, dans un de ses rares poèmes écrits en anglais : only retrospectively does it seem strange to have grown up on a river called credit merchants at the river’s mouth staking trappers to their winter needs (few wants?) [ … ] my mother paid cash when she could5. Ses parents sont unilingues anglophones. Ses grands-parents maternels sont des immigrants : sa grand-mère est d’origine belge et parle le français; de son grand-père, Dickson rappelle, avec une admiration contenue, qu’il venait d’une communauté séfarade de Turquie et parlait, outre l’anglais, le ladino ainsi que le grec, le turc, l’arabe, le français, l’italien et l’espagnol. Dickson évoque volontiers son enfance heureuse et les longues visites chez ses grandsparents maternels : « Chaque fois que nous allions chez mes grands-parents à Toronto, c’était un grand moment car nous quittions le village pour la grande ville; c’était une maison bourgeoise. Et quand les grands-parents ne voulaient pas qu’on comprenne, ils parlaient en français ou en espagnol. » Le jeune Dickson ne parle et ne comprend que l’anglais. Il est d’une intelligence précoce :« J’étais un grand lecteur – et, comme dit Doric Germain, un grand liseux : le catalogue Eaton’s, n’importe quoi qui me tombait sous la main, et même dans les années 80 j’ai lu des romans western, de la science-fiction – j’étais un lecteur sauvage et indisciplin...

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