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Reviewed by:
  • Edgar Quinet, une conscience européennedir. par Sophie Guermès et Brigitte Krulic
  • Laure Lévêque
Edgar Quinet, une conscience européenne. Dirigé S ophieG uermèsEt B rigitteK rulic. ( Travaux interdisciplinaires et plurilingues, 28.) Bruxelles: Peter Lang, 2018. 279 pp., ill.

Alors qu'Edgar Quinet demeure encore inexplicablement méconnu, les seize contributions ici réunies sont particulièrement bienvenues, où des spécialistes venus d'horizons épistémologiques différents—philosophes, historiens, littéraires. . .—s'appuient sur son œuvre singulière pour questionner 'les dimensions transnationales de la circulation des idées et des représentations' (p. 12), sujet nodal dans ce dix-neuvième siècle qui rebrasse et repense, avec les frontières politiques, les circuits intellectuels vecteurs d'échanges qui fécondent une idée européenne en construction dans cet espace hérité des Lumières où prévaut, périmant 'les clivages idéologiques', 'le sentiment' universaliste 'd'appartenir à une communauté supranationale' (pp. 37–38) sur laquelle s'exerce la voix privilégiée des historiens. Au fil de ces études qui passent au crible la foisonnante densité de ses travaux dans leurs dimensions poétique, anthropologico-culturelle ou de philosophie politique, on suit la genèse de la pensée politique de Quinet qui assigne à la Révolution française un rôle génétique structurant à l'origine d'une axiologie qui sacralise la liberté, principe discriminant qui condamne tant les Napoléon que tous 'les esclaves' qui gémissent sous le joug du césarisme et qui motive l'engagement indéfectible de Quinet aux côtés des nationalités opprimées, développé ici pour le cas des Grecs, des Roumains, des Italiens ou des Polonais. La centralité de la figure de Quinet se dessine nettement dans le dialogue qu'il entretient avec ses contemporains fondamentaux (Hugo, Michelet, Cousin. . .) comme avec la fine fleur d'un monde étudiant déjà globalisé qui devait assurer la diffusion et la discussion de ses leçons jusqu'aux Amériques. Mais, tout en ciselant la statue d'une conscience éminente de son temps, savant de terrain (p. 134) autant que de cabinet, les analyses n'ignorent pas les points aveugles de la pensée de Quinet, essentiellement libérale, au risque de la contradiction et jusqu'à l'aporie chez ce penseur hétérodoxe qui défendra que la Révolution de 1789 est un 'avortement'—et qui contribuera lui-même à faire avorter celle de juin 1848 où 'Quinet servit la Terreur réactionnaire contre la Révolution ouvrière' (p. 88). Au risque de ramener la 'dictature' (p. 89), dont, forcé à l'exil, il devait lui-même pâtir quelque vingt ans durant. De même que Quinet, analyste confirmé des identités nationales mais admirateur de l'ordre incarné par Louis-Eugène Cavaignac, n'aura pas un mot pour les Algériens pourtant structurellement victimes, comme bien des peuples européens de l'Orient ou du Midi, de la même volonté de puissance et des mêmes visées aliénantes, nouvelle manifestation de ce que la vision [End Page 296]d'un Quinet 'porteur d'un point de vue de classe moyenne inspiré de l'idéalisme allemand' (p. 88) est obscurcie par des taies que l'expérience directe du terrain ne suffit ni à éliminer ni à corriger, force de l'idéologie qui signe les limites de la lucidité et dit la difficulté '[d'être] son propre Prométhée' (Michelet, Histoire de France). Au total, il faut saluer ce volume collectif qui offre une synthèse très stimulante de l'histoire des idées d'un auteur absolument incontournable pour la pensée politique de la modernité européenne.

Laure Lévêque
Université De Toulon

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