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  • La colonisation du savoir. Une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492–1750) par Samir Boumediene
  • Anne Lardeux
La colonisation du savoir. Une histoire des plantes médicinales du « Nouveau Monde » (1492–1750) Samir Boumediene Vaulx-en-Velin : Éditions des Mondes à faire, 2016, 477 p., 24,00 €

Ce livre est la version remaniée d'une thèse de doctorat soutenue en 2013 et publiée en 2016 aux Éditions des Mondes à faire. Ces éditions s'attachent – c'est ce qu'elles revendiquent, mais c'est aussi ce qu'on constate à la lecture de leurs livres – à « rendre compte de la perpétuelle métamorphose des mondes dans lesquels nous vivons et de la part que nous prenons à leur instauration ». Que cette expérience de pensée conduite par Samir Boumediene soit publiée aux Mondes à faire n'est donc pas anodin ; cela signale la nature d'un projet qui assume la complexité de l'objet qui l'occupe pour en faire une œuvre vivante, en prise avec des enjeux cruciaux de notre époque.

Samir Boumediene élabore une histoire de la colonisation au travers du prisme des plantes médicinales des Amériques en étudiant – sur une période de presque trois siècles – les rapports des savoirs blancs aux sources et ressources indigènes qu'ils saisissent dans cette fabrication médicinale. Il propose un travail érudit, documenté d'archives aussi nombreuses qu'hétérogènes, qui montrent bien que les pratiques de soins, non seulement, ne sont pas séparables des mondes et des expériences qui les portent, mais qu'elles incarnent les rapports spécifiques que ces mondes entretiennent au réel et le commerce entre les êtres et les choses qu'ils défendent. Codex, chroniques de missionnaires, ouvrages de médecine, traités d'histoire naturelle et botanique, livres de recettes, procès inquisitoriaux, lois, traités commerciaux, etc. tissent la matière de la pensée de Boumediene qui la travaille sur le modèle du contrepoint : assumant la prédominance des sources européennes, il la décentre par le recours à de plus rares, mais précieuses sources indigènes. Par ailleurs, l'incise de pauses, notes et autres épilogues brise l'équilibre harmonisé qui caractérise habituellement (et parfois de façon mortifère) la pensée académique.

S'il refuse d'égaliser l'histoire des « vaincus » à celle des « vainqueurs », Samir Boumediene travaille à décrire ce qui a été pris aux uns et transformé par les autres, mais aussi ce qui a été refusé, caché, masqué par les uns aux autres. Ici pas « d'historiographie béate de la globalisation » (pour reprendre ses mots) s'entichant du caractère forcément positif et réjouissant de la circulation des matières et des idées, nourrie à l'illusion d'une fluidité qui effacerait les couleurs et [End Page 238] les différences autant que les pouvoirs. Boumediene s'inscrit plutôt dans un courant d'histoire des sciences attaché à l'économie morale des gestes et des pratiques, c'est-à-dire aux valeurs, affects et intérêts qui les soutiennent. Il aborde la transmission des savoirs – en l'occurence des savoirs médicinaux – par la voie des résistances rencontrées : ruptures de communication et non-transferts qu'il lit à même les tâtonnements et amalgames des blancs dans la connaissance de ces plantes « nouvelles » ; mais aussi dans les procès mis en œuvre contre certaines plantes ou substances jugées « idolâtres » (comme le peyotl et la coca par exemple) ou encore dans les pratiques indigènes qui ont su préserver autant de savoirs et d'usages de leur capture par le dispositif blanc. L'inquisition a beau veiller au grain et appliquer une surveillance active des pratiques, elle ne peut quadriller complètement ces territoires immenses.

Boumediene donne ainsi à comprendre – et dans la matière même de son texte et des illustrations très belles qui l'accompagnent – le réseau complexe des forces en présence qui s'affrontent au cœur de ce projet européen d'appropriation et d'évangélisation, de transformation profonde et radicale de mani...

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