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  • L'impossible prohibition. Drogues et toxicomanies en France, 1945–2017 par Alexandre Marchant
  • Zoë Dubus
L'impossible prohibition. Drogues et toxicomanies en France, 1945–2017 Alexandre Marchant Paris : Perrin, 2018, 592 p., 27,00 €

Alors que le Canada est aujourd'hui le deuxième pays à légaliser l'usage du cannabis dans un cadre « récréatif » et que les débats autour des usages thérapeutiques de substances psychoactives considérées depuis des décennies comme de dangereux stupéfiants s'ouvrent dans de nombreux pays, force est de constater que l'étude des drogues reste en France un champ de recherche très restreint et largement dominé par les travaux sociologiques ou psychiatriques. Peu explorée par les historien.nes français.es, l'histoire des psychotropes, qu'elle soit sociale et culturelle, médicale et sanitaire ou politique et légale, n'a pas été investie par le champ historiographique français à la mesure des problématiques soulevées par ces questions dans la société. Pourtant, les sources sur ces thématiques sont nombreuses et l'intérêt du public pour cet objet ne se dément pas. Issu d'une thèse en histoire contemporaine soutenue en 2014 à l'École Normale Supérieure de Cachan, le livre d'Alexandre Marchant permet donc de combler un manque en dressant un panorama passionnant de la lutte contre certaines substances psychotropes en France, de la fin des années 1960 à la période la plus actuelle.

On regrettera cependant que le cadre chronologique choisi coïncide autant avec les travaux issus de la sociologie et de la psychiatrie : l'originalité de l'apport historique aurait pu permettre de montrer que les concepts auxquels font appel les discours produits sur les stupéfiants n'apparaissent pas à la fin des années 1960, comme l'affirme l'ouvrage. Ainsi, les thématiques liées à « l'épidémie de toxicomanie » [End Page 222] (« soudain la drogue fut qualifiée d'épidémie », 12) ou la référence au « fléau social » pour parler des drogues datent bien de la fin du 19e siècle et sont sans cesse réemployées comme cadre interprétatif du phénomène de la consommation hédoniste de stupéfiants, comme le montre par exemple l'historien Jean-Jacques Yvorel. De même, les problèmes de polydépendance (à l'alcool et aux médicaments psychotropes notamment) sont régulièrement abordés par les médecins dès la fin du 19e siècle. Bien que les sources, tant médicales que journalistiques et politiques de la fin des années 1960 présentent ces problématiques comme inédites, un retour aux sources de la fin du 19e siècle et de l'entre-deux-guerres aurait pu permettre de mettre en perspective ces discours et de mieux en saisir le caractère propagandiste.

L'apport de ce livre est toutefois essentiel : en disséquant systématiquement les prises de positions politiques au cours de ces cinquante dernières années, Alexandre Marchant illustre admirablement les contradictions de la « guerre à la drogue ». Déclarations énergiques de durcissement de la lutte antidrogue à l'approche d'élections clefs mises en regard des moyens inexistants alloués en réalité aux organismes chargés de la mettre en place ; conflits internes entre le ministère de la Santé et celui de l'Intérieur empêchant l'édiction de mesures salutaires (la description des résistances à l'instauration de protocoles de réductions des risques, en particulier au moment de la crise de l'épidémie de sida à la fin des années 1980 est à ce point de vue tristement éloquente) ; défense acharnée d'intérêts socioprofessionnels de la partie dominante des psychiatres responsables du traitement des toxicomanes, refusant catégoriquement d'amorcer des modifications de leurs pratiques ; transformation perpétuelle des moyens d'approvisionnement et de revente des substances sont autant d'objets qu'Alexandre Marchant décrypte au fil des pages. Appuyée par des références abondantes ainsi que par de nombreuses annexes permettant d'étoffer la réflexion, il...

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