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  • Schizophrène au XXe siècle. Des effets secondaires de l'histoire par Hervé Guillemain
  • Marie Derrien
Schizophrène au XXe siècle. Des effets secondaires de l'histoire Hervé Guillemain Paris : Alma, 2018, 317 p., 22,00 €

Inventée vers 1900, la schizophrénie peut être considérée comme la maladie mentale du 20e siècle. Massivement diagnostiquée et devenue l'incarnation de la folie dans l'art, les médias et, plus généralement, pour l'opinion publique, elle est l'objet de ce livre. Issu d'un mémoire d'habilitation à diriger des recherches, l'ouvrage s'attache à comprendre la genèse, le succès et l'impact d'une pathologie sur les trajectoires des individus qui en sont déclarés atteints. L'enquête s'appuie sur le dépouillement de plusieurs centaines de dossiers médicaux face auxquels l'historien adopte un parti pris méthodologique audacieux : privilégiant « l'écoute flottante des sources » (13), Hervé Guillemain invite le lecteur à le suivre dans son exploration des archives, n'hésitant ni à dévoiler comment se construit le cheminement de sa pensée au fil des dépouillements, ni à emprunter les chemins de traverse qu'il découvre en se plongeant dans les dossiers. Cette approche, qui transparaît tout particulièrement dans l'appendice méthodologique intitulé « l'atelier de l'historien » et l'originalité du plan, confère à son travail deux grandes qualités : sans jamais sacrifier à la rigueur scientifique, l'auteur compose un récit passionnant s'adressant aussi bien à un public de spécialistes qu'à n'importe quel lecteur intéressé par le sujet.

À l'opposé d'une histoire clinique de la schizophrénie, le livre d'Hervé Guillemain place les patients au cœur de la réflexion. Qui sont-ils, combien et d'où viennent-ils ? Au plus près des archives, l'historien décrit et analyse la répartition spatiale, chronologique et sociologique du diagnostic. Il établit puis explique la diffusion rapide, dans la sphère médicale et l'espace social, d'une maladie qui frappe d'abord les femmes avant de se masculiniser à partir des années 1950 (chapitres 1 et 2). Il s'interroge sur sa surreprésentation dans le sud de la France et l'explosion des effectifs à partir de la fin des années 1930 (chapitre 3). Soucieux de comprendre les parcours des malades, il met en évidence la part des domestiques, des dactylos, des orphelins, des veuves de guerre, des migrants ou encore des jeunes parmi les schizophrènes internés dans les hôpitaux dont il a consulté les archives (chapitres 4 et 6). La reconstitution de leurs trajectoires souligne l'extrême vulnérabilité de patients souvent ballottés d'institutions en institutions et dont l'internement apparaît comme le dernier stade d'un long processus de relégation. Cette plongée dans les archives médicales fait figure de leçon de méthode, tant l'auteur, face [End Page 206] à des cas particuliers, parvient avec précision et nuance à faire apparaître entre eux des traits communs. En dépeignant des individus qui échouent, selon les critères d'une médecine enracinée dans des représentations conservatrices, à s'adapter aux normes modernes, Hervé Guillemain fait apparaître la dimension sociale, économique et politique de la construction des troubles mentaux.

L'ouvrage décrit également les efforts savants et profanes pour caractériser et expliquer la maladie. Le chapitre 5 est ainsi le fruit d'un travail très fin sur les récits des malades et de leurs familles, notamment au sujet des voix qu'entendent certains patients. Les tentatives des psychiatres pour comprendre et traiter la schizophrénie sont également retracées, à l'appui de sources souvent délaissées, tels les graphiques, courbes et résultats d'analyses, pour dresser un panorama des expérimentations conduites sur différents terrains, de la physiopathologie aux neuroleptiques retards, en passant par l'organothérapie. Les effets pratiques des discours théoriques sont examinés à travers des exemples qui donnent à voir comment un diagnostic, aux contours pourtant...

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