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Reviewed by:
  • Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire par Beverley Skeggs
  • Ingrid Hayes
Beverley SKEGGS, Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire, Marseille, Agone, « L'ordre des choses », 2015, 432 p. [traduction par Marie-Pierre Pouly de Formations of Class and Gender: Becoming Respectable, Londres, Sage, 1997].

Il a fallu attendre dix-sept ans pour qu'une traduction en français de cet ouvrage de Berverley Skeggs soit publiée en France–qu'Agone en soit remerciée. Ce fut d'ailleurs l'objet d'une bataille pour l'auteure, à qui d'autres éditeurs pressentis refusaient l'utilisation dans le titre des termes « classe » et « ethnographie ». Au moins [End Page 174] cette publication tardive s'accompagne-t-elle d'un important appareil critique, d'une préface d'Anne-Marie Devreux, d'une postface de Marie-Pierre Pouly, la traductrice, et de notes de bas de page éclairant l'usage des notions et des références bibliographiques.

Le projet de Beverley Skeggs est explicite : il s'agit à la fois de rétablir la dimension de classe qui a trop souvent disparu des études féministes et des Cultural studies, et se pencher sur les femmes des classes populaires, si rarement étudiées, hormis dans le cadre de l'usine. Dans son analyse des classes populaires, elle s'inscrit dans la lignée du Centre for Contemporary Cultural Studies fondé par Richard Hoggart, mais avec une approche marxiste revendiquée.

L'ouvrage est tiré de sa thèse, qu'elle a assise sur le suivi de quatre-vingt-trois femmes d'une ville industrielle du nord-ouest de l'Angleterre, inscrites à des cours de caring dans trois parcours professionnels distincts : travail social, paramédical et aide à domicile. Ces femmes sont « blanches » (les guillemets sont de la sociologue), mais cette dimension est moins traitée que celle du genre et de la classe, ce que l'auteure considère comme une des limites de son enquête. Celle-ci est originale moins par la méthode (l'essentiel du matériau étant constitué d'entretiens) que par sa durée, sa dimension ethnographique, et la position particulière de la sociologue.

L'enquête a en effet duré onze ans, du début des années 1980 au début des années 1990. Rappelons qu'il ne s'agit pas d'une séquence anodine pour les classes populaires britanniques, soumises au chômage de masse et à la violence du thatchérisme. Beverley Skeggs habitait la même ville qu'elles, et enseignait dans leur établissement. Elle put donc les suivre et les entendre dans des cadres divers, au sein de l'école mais aussi à l'extérieur, individuellement ou en groupe, notamment lors de sorties au pub. S'ajoute le fait que la sociologue est elle-même issue d'un milieu populaire, et était destinée au même type d'études que les enquêtées, dans les emplois familiaux. Elle est finalement parvenue à entrer à l'université, et a suivi un parcours atypique, au fil de ses lectures, en conservant en permanence une dimension réflexive sur son propre positionnement social. Elle se définit comme une « transfuge de classe », et cette caractérisation joue à plein au cours de son enquête : elle a ressemblé aux enquêtées, mais ne fait plus partie des classes populaires, et c'est entre proximité et distance qu'elle construit son objet, en appliquant à la relation enquêtrice/enquêtées la théorie de la valeur qu'elle emprunte à Marx en la réinterprétant à l'aune de Bourdieu. « J'ai recours à un cadre universitaire (qui fait maintenant partie de mon capital culturel) pour expliquer leurs expériences ; elles utilisent d'autres discours, ceux auxquels elles ont accès (leurs ressources culturelles). Nos ressources culturelles ont des valeurs différentes, tant en termes de légitimité que de valeur d'échange ».

La dimension épistémologique est majeure dans l'ouvrage, elle est présente à chaque étape de la démonstration. Le premier chapitre y est entièrement consacré. La lecture en est parfois rendue ardue pour les néophytes et autres non-sociologues, qui...

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