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  • Ceux de Billancourt par Laurence Bagot
  • Nicolas Hatzfeld
Laurence BAGOT, Ceux de Billancourt, Ivry-sur-Seine, Éditions de l'Atelier, 2015, 208 p.

Le livre se compose de dix témoignages d'anciens salariés de l'usine Renault de Billancourt recueillis par Laurence Bagot. Enseignante d'arts plastiques, celle-ci avait engagé une campagne photographique sur les vestiges du site de Renault. À l'occasion d'une exposition, elle avait fait la rencontre de cinq anciennes et anciens de l'entreprise, rencontre qui engagea le projet.

Les dix témoignages de retraités sont rassemblés avec le souci de présenter une variété de parcours et d'expériences. On y trouve sept hommes et trois femmes, selon une distinction qui recoupe exactement la différence entre les catégories professionnelles initiales : sept sont entrés à l'usine comme ouvriers, trois comme employées. Cinq personnes viennent de pays étrangers, dont quatre ouvriers, et cinq autres sont françaises de naissance. Considérés du point de vue des parcours, ces témoins peuvent être répartis en trois groupes : des ouvriers spécialisés d'origine africaine (un Marocain, un Algérien, un Tunisien et un Ivoirien), des ouvriers professionnels d'origine française ou italienne, et des employées, deux Françaises qui ont travaillé dans des bureaux tandis qu'une troisième, venue du Maroc, a travaillé dans les cantines de l'île Seguin. [End Page 159]

L'usine Renault de Billancourt n'est pas la moins connue de France. Cependant, on apprend beaucoup en lisant l'ouvrage. Les récits de travail d'ouvriers spécialisés confirment, plus qu'ils ne la révèlent, la pénibilité du travail en fonderie ou sur les chaînes, en soudure ou en montage. Ils évoquent aussi la rugosité des relations de travail en même temps que la grande solidarité qu'on y trouve, la malfaisance de l'alcool ; plusieurs disent l'effroi provoqué par des accidents mortels causés par des presses ou d'autres machines. On lit aussi la dureté des années passées dans le pool de dactylo pour les jeunes femmes munies de leur CAP de sténodactylographie : embauchées comme si elles ne l'avaient pas, elles subissent la rudesse du commandement et des exigences. Les plus résistantes à l'épreuve ont, au bout de quelques années de ce deuxième apprentissage, l'opportunité de passer dans des secrétariats d'atelier ou de bureau. Ce sont d'autres récits qu'offrent les ouvriers professionnels de l'outillage ou de la maintenance, qui disent l'acquisition des savoirs, le passage d'échelons et les carrières, les périodes de travail jusqu'à l'excès et celles où l'on en perd le sens et le goût.

S'ils évoquent abondamment le travail proprement dit, les témoignages sont diserts également sur les vies dans lesquelles il prend place. Ainsi, la plupart des anciens ont travaillé ailleurs, avant d'entrer à la Régie, comme par hasard pour certains et de façon plus préméditée pour d'autres. Comme ailleurs, c'est généralement par l'intermédiaire d'une relation personnelle qu'à la suite d'expériences décevantes ils ont trouvé le chemin de Billancourt, qui jouissait d'une solide réputation en matière de salaires et d'avantages d'entreprise. De façon plus inédite, les récits font état de la pesante décennie de déclin du site, jusqu'à la fermeture de 1992. Certains racontent des reconversions internes éprouvantes et parfois fructueuses. La régression de l'activité, la chasse aux reclassements internes et le licenciement des plus fragiles sont une face peu connue. Pour celles et ceux qui ne pouvaient partir en préretraite, les années ultérieures de recherche d'un autre emploi furent particulièrement laborieuses. Chez Renault, dit l'un d'eux, « l'ouvrier est comme dans un bocal ». La majorité des fins de carrière sont hachées et inégales : certaines se concluent par des départs précoces à la retraite, d'autres par des reconversions...

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