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Reviewed by:
  • Radio Lorraine cœur d'acier 1979-1980. Les voix de la crise par Ingrid Hayes
  • Marion Fontaine
Ingrid HAYES, Radio Lorraine cœur d'acier 1979-1980. Les voix de la crise, Paris, Presses de Sciences Po, « Académique », 2018, 348 p.

Le livre d'Ingrid Hayes, tiré de sa thèse de doctorat, était attendu pour plusieurs raisons. Il est l'un des premiers à saisir pleinement les potentialités de l'histoire de la radio–ce parent pauvre encore de l'histoire des médias– en ne se contentant pas de retracer le parcours d'une institution ou d'une station, mais en portant le regard sur le cœur, c'est-à-dire sur les émissions telles qu'elles ont pu être enregistrées et sauvegardées. La radio étudiée est de surcroît doublement mythique, dans l'aventure des radios libres (1977-1981) et dans l'histoire des mobilisations ouvrières, puisqu'il s'agit de Radio Lorraine Cœur d'Acier (LCA), la « radio de lutte » qui émet à Longwy entre mars 1979 et juillet 1980, dans le sillage du mouvement des sidérurgistes lorrains contre la crise et la fermeture des sites (1978-1979). À travers cette étude, l'auteure contribue donc au renouvellement des approches concernant une période de transition, entre crise et invention, entre insubordination dans les usines–et au-dehors–et prémices, de plus en plus tangibles, de la dé-formation de la classe ouvrière.

Attendu, ce livre fourmille en même temps, c'est le propre des recherches les plus stimulantes, d'inattendu. La clé en est peut-être donnée par Ingrid Hayes elle-même : « Au fond, c'est justement parce que tout est incertain, que rien ne se passe comme prévu » (p. 300). Pour qui connaît en effet un peu cette période et le combat des sidérurgistes lorrains, l'image classique de LCA est celle d'une radio totalement absorbée et fusionnée dans la lutte, reflétant de manière transparente le groupe, jusqu'à ce que la CGT mette fin à cette initiative, qu'elle avait pourtant portée, à l'été 1980. Pourtant, les analyses d'Ingrid Hayes dessinent une image singulièrement plus complexe. Radio de lutte, LCA ne naît qu'à la fin de cette dernière et ne s'insère dans la mobilisation que de manière décalée (p. 27). Radio des sidérurgistes, elle est animée et structurée en réalité par des acteurs et des groupes bien plus divers. Radio tournée en théorie vers le travail et vers l'usine, elle en parle paradoxalement très peu (p. 110). Radio qui n'est pas une radio ouvrière, au regard des thèmes qu'elle promeut ou du statut social de ses animateurs, elle n'en constitue pas moins une expérience inédite, qui permet au monde ouvrier de s'exprimer et de se faire entendre (p. 299).

On pourrait multiplier à l'envi de tels paradoxes, que l'auteure scrute avec minutie, appuyée sur des sources particulièrement intéressantes. Celles-ci comprennent, [End Page 157] on l'a dit, une bonne partie des émissions, y compris les interventions et les réactions des auditeurs, qui ont été déposées–on aurait aimé savoir dans quelles conditions–aux Archives de Seine-Saint-Denis. Ingrid Hayes a aussi eu recours aux archives de la CGT et a surtout effectué bon nombre d'entretiens avec d'anciens animateurs, responsables confédéraux, soutiens, intellectuels engagés, y compris avec Gérard Noiriel (on sait l'importance de ce moment dans la trajectoire de ce dernier, même si–silence ou distance–on ne le voit guère en fait apparaître dans le livre). Ces sources considérables, qui permettent d'entendre des voix différentes–celles des animateurs, des responsables, des amis, des auditeurs–à des moments eux-mêmes différents (pendant l'expérience, et quarante ans après), sont analysées au fil d'une démonstration très claire, assortie de précieuses annexes : une chronologie, la présentation des émissions, etc...

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