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  • La prison des pauvres. L'expérience des workhouses en Angleterre par Jacques Carré
  • Jacques Rodriguez
Jacques CARRÉ, La prison des pauvres. L'expérience des workhouses en Angleterre, Paris, Éditions Vendémiaire, « Chroniques », 2016, 544 p.

Au lecteur qui ne connaîtrait pas les workhouses, ces établissements dédiés à la prise en charge des pauvres en Angleterre, la photographie qui figure en couverture du livre de Jacques Carré offre un aperçu suggestif. On y voit un très grand nombre d'hommes tout de noir vêtus, attablés en rangs serrés et parfaitement alignés dans une salle aux dimensions impressionnantes. Tous sont relativement âgés, au point que beaucoup ont le visage ceint d'une barbe blanche ; aucun, apparemment, ne parle à son voisin et l'on perçoit d'emblée la monotonie et la pénibilité d'une vie qui semble codifiée à l'extrême. Ce cliché, pourtant, a été pris à la toute fin du XIXe siècle, époque au cours de laquelle les workhouses n'ont plus rien de commun avec ce qu'elles furent jadis, c'est-à-dire des établissements souvent mal gérés et peu salubres, où se réfugiaient tous ceux que la maladie, l'âge ou une conjoncture économique déprimée privaient de moyens d'existence suffisants. Car l'histoire de la workhouse commence en réalité très tôt, dès le XVIIe siècle, et c'est là, d'ailleurs, une des gageures du livre de J. Carré : rendre compte des évolutions de cette institution jusqu'à sa disparition définitive en 1948, des fonctions qui lui furent successivement assignées et des réactions très contrastées qu'elle a suscitées. L'ambition du propos est ici tempérée par son originalité, car si l'auteur puise dans une historiographie déjà très riche, il s'intéresse plus particulièrement au fonctionnement intime de cette institution, à son organisation spatiale, au rôle dévolu au travail des indigents et, surtout, à la vie sociale intra-muros. Au-delà donc de l'histoire de ces établissements, c'est « l'expérience des workhouses » que J. Carré veut restituer : une expérience de l'intérieur, en quelque sorte, dont il témoigne en dépit du relatif silence des archives.

Le livre est organisé selon un plan chrono-thématique en quatre parties au sein desquelles plusieurs chapitres resserrent la focale sur certains établissements emblématiques du projet que poursuivaient, à telle ou telle époque, les maîtres d'œuvre de l'assistance. Classiquement, le récit est articulé autour de la césure que constitue la loi de 1834, cette New Poor Law qui entreprend de rationaliser le système d'assistance en durcissant le fonctionnement des workhouses. Jusqu'alors, ces établissements ne sont certes pas des lieux de villégiature très prisés, mais ils ne s'apparentent pas encore à ces « prisons des pauvres » de l'époque victorienne. À l'origine, en effet, les workhouses procèdent d'une législation tout à fait pionnière (Poor Law) qui, dès 1601, rend obligatoire la levée d'un impôt paroissial destiné à l'entretien des pauvres. Sauf que dans une société acquise aux idées de la Réforme, il ne s'agit pas d'aider indistinctement tous les miséreux, ni de leur accorder des secours sans contrepartie. Aux côtés des maisons de correction, des « maisons d'industrie » ou des hospices, les workhouses deviennent ainsi, peu à peu, le pivot d'un système assistantiel qui entend distinguer les pauvres selon l'origine de leur détresse, soulager leurs souffrances mais aussi, indissociablement, les discipliner par et pour le travail, considéré comme une source d'édification spirituelle. Jacques Carré rend compte à cet égard de la variété des formules adoptées aux quatre coins du pays, l'éclosion d'une véritable « économie mixte de l'assistance » (p. 32) et l'affermage de nombreux établissements, ou encore [End Page 143] la persistance, ici et là, de la pratique des secours à domicile, octroyés hors les murs de la workhouse. Il...

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