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  • Femmes, engagement et classes populaires.Une histoire vivante
  • Ingrid Hayes and Magali Della Sudda

Dans son ouvrage consacré à l'histoire des femmes, l'historienne Françoise Thébaud rappelle la matrice originelle d'une historiographie engagée et parfois militante. Les jeunes femmes qui entrent en masse à l'université dans les années 1960 sont les contemporaines d'un contexte bien particulier 1. À l'allongement de la scolarité des filles s'ajoutent la reprise du travail salarié pour les femmes (notable à partir de 1965, elle s'accentue après 1968, même si la durée de vie active reste très inférieure à celle des hommes, jusqu'au milieu des années 1970 2) et la reconnaissance de nouveaux droits (celui par exemple de placer son salaire sur son propre compte en banque ou de travailler sans l'autorisation de son mari, obtenu en 1965).

Dans le sillage de Mai 68 émerge la deuxième vague du féminisme, dont bien des jeunes femmes sont à la fois les témoins et les actrices. Parmi les universitaires qui ouvrent les brèches des études féministes et de l'histoire des femmes, beaucoup sont des militantes qui rejoignent le Mouvement de libération des femmes (MLF) lors de sa création en 1970. Schématiquement, trois courants distincts coexistent : « Psychanalyse et politique », animé par Antoinette Fouque ; les féministes radicales, emmenées notamment par Christine Delphy ; et les « féministes lutte des classes », regroupant des militantes de diverses organisations d'extrême gauche 3. À côté de ces groupes militants revendiquant une vision systémique de la lutte pour les droits des femmes, des féministes manifestent ou s'engagent sur la libéralisation de la contraception et du droit à l'avortement, telle Gisèle Halimi et Choisir 4. Enfin, un féminisme « ordinaire », qui ne s'exprime pas dans un cadre militant, et dont l'histoire reste à [End Page 3] écrire, est représenté lors des États généraux de la femme organisés par le magazine Elle en 1975. Cet événement est relayé par des mouvements comme l'Action catholique générale féminine, alors en pleine interrogation sur la possibilité d'un féminisme au sein de l'Église. L'encyclique Humanæ Vitæ du 25 juillet 1968, qui rappelle l'interdit de l'usage des contraceptifs chimiques et mécaniques et la condamnation de l'avortement, en laisse plus d'une dubitative 5. Le féminisme « ordinaire » est aussi celui des lectrices de la « bible du féminisme », Notre corps, nous-mêmes, ouvrage militant du Collectif des femmes de Boston traduit par un collectif féministe parisien chez Albin Michel en 1977 6. Réédité à plusieurs reprises, il est un succès éditorial qui témoigne de la diffusion des idées féministes dans un public débordant celui des militantes engagées dans des organisations féministes 7.

Les féministes de la première vague, celle des « filles de Marianne 8 », sont entrées dans une veille silencieuse depuis 1940. Après la suppression des libertés démocratiques sous Vichy, puis l'obtention du droit de suffrage et d'éligibilité, les anciennes organisations féministes peinent à se remobiliser. Les « années Beauvoir » connaissent une reformulation de la cause des femmes dans les lieux du quotidien : un consensus républicain autour de la maternité entre les organisations communistes et catholiques se fait jour, les organisations suffragistes travaillent sur la formation civique, la consommation, tandis qu'émerge une revendication des couples à bénéficier des moyens d'avoir une sexualité non procréative 9. La génération de jeunes femmes qui a 20 ans en 1968 est plus politisée que les précédentes et les suivantes 10, elle est celle qui doit se faire une place dans un monde académique ne tolérant jusqu'alors les étudiantes qu'à condition qu'elles demeurent l'exception 11. La donne change après 1968. Les femmes sortent discrètement des silences de l'histoire grâce au renouveau de la recherche entrepris par ces nouvelles entrantes dans le monde [End Page 4] académique 12 et les jeunes historiennes posent...

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