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  • L'émergence de l'histoire des femmes dans l'après-68
  • Michelle Perrot, Ingrid Hayes, and Frank Georgi

Entretien avec Ingrid Hayes et Frank Georgi

Dans le sillage du cinquantenaire de Mai 1968, Le Mouvement social revient sur l'un de ses numéros spéciaux qui ont fait date : « La Sorbonne par elle-même », sorti à l'automne 1968 1. Michelle Perrot, qui en fut l'une des chevilles ouvrières, éclaire pour nous le contexte et le sens de cette entreprise unique en son genre. Elle avait déjà donné, il y a dix ans, un premier témoignage en ce sens recueilli par Nicolas Hatzfeld (Le Mouvement social, n° 223, 2008). Cette fois, sa réflexion englobe la décennie post-68, prenant en compte l'impact de l'événement sur son propre parcours et sur l'évolution de l'historiographie, entre histoire ouvrière et histoire des femmes. L'entretien a été réalisé le 3 juillet 2018 par Ingrid Hayes et Frank Georgi.

Ingrid Hayes et Frank Georgi. Qu'en est-il du Mouvement social à la veille de mai 1968 ?

Michelle Perrot. En 1968, Le Mouvement social existe depuis huit ans, il a été créé en 1960 par Jean Maitron et une petite équipe déjà réunie autour de lui, à laquelle j'appartenais. Il faisait suite à L'Actualité de l'histoire, et l'occasion du lancement fut le colloque consacré au « militant ouvrier » que Jean Maitron, Claude Willard et moi avions organisé 2. Ce colloque sur le militant ouvrier comportait toutes sortes d'exposés, pas tellement nombreux d'ailleurs, et il avait fourni le premier numéro, assez mince, de la revue Le Mouvement social. Par la suite, la revue a pris plus d'ampleur et le comité de rédaction s'est complété assez rapidement. Y sont entrés des gens comme Madeleine Rebérioux, Annie Kriegel… Rolande Trempé, pour sa part, en fait partie dès le premier numéro.

La revue existe, elle est dynamique, elle nous réunit très régulièrement, parce que c'était pour nous la seule revue d'histoire sociale qui existait en France et, à ce moment-là, on la voyait d'ailleurs plutôt comme une revue consacrée au mouvement ouvrier. Ensuite, la notion de social s'est, à bon droit, élargie, mais au début on pensait quand même plutôt « mouvement ouvrier », « militant ouvrier », etc. Faire une revue « scientifique » consacrée au monde ouvrier était notre ambition. Il y avait eu plusieurs numéros depuis 1960, on s'était tous plus ou moins investi dans tel ou tel numéro, et voilà que Mai 1968 survient. [End Page 111]

Vous êtes à la Sorbonne à ce moment-là ?

Oui, avec d'autres. Jean Maitron était responsable du Centre d'histoire du syndicalisme 3 (aujourd'hui Centre d'histoire sociale des mondes contemporains), qui avait d'abord été à la Sorbonne et était depuis au Centre Malher, extension de la Sorbonne, Madeleine Rebérioux était assistante à la Sorbonne, tout comme moi et Jean-Claude Perrot. La Sorbonne était pléthorique à ce moment-là, il y avait beaucoup d'étudiants. Il y avait eu beaucoup de recrutements dans les dernières années, entre 1965 et 1968, pour faire face à cet afflux d'étudiants qui est, en somme, une des origines du mouvement, de l'explosion de Mai. On n'a évidemment pas plus prévu 68 que les autres, ça va de soi. On a été pris complètement par l'événement lui-même, mais rétrospectivement, on peut repérer des signes avant-coureurs. Il y avait eu par exemple la Rencontre socialiste de Grenoble en 1966, entre Michel Rocard, Pierre Mendès France, Serge Mallet. Moi, j'étais tout à fait de ce côté-là, je militais à Tribune du communisme, modeste formation qui avait fusionné avec le PSA et l'UGS pour former le PSU 4. J'appartenais à la section du 6e arrondissement, où rapidement se sont affrontés Jean Poperen et Michel Rocard, pour lequel j'ai rapidement opté. J'étais assez au fait de l'actualité sociale, mais ce n'est pas...

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