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  • Vers un nouveau mode de relations entre les sexes: six correspondances de femmes des Lumières by Jürgen Siess
  • Benoît Melançon
Vers un nouveau mode de relations entre les sexes: six correspondances de femmes des Lumières. Par Jürgen Siess. (Masculin/féminin dans l'Europe moderne, 12; XVIIIe siècle, 5.) Paris: Classiques Garnier, 2017. 176 pp.

On a souvent dit que la correspondance était un 'genre féminin', mais les études récentes sur le genre (gender studies) obligent à reprendre ce lieu commun sur de nouvelles bases. [End Page 123] Jürgen Siess s'y attache en montrant comment six Françaises de 'l'élite culturelle' (p. 7) du dix-huitième siècle ont proposé, par des lettres adressées à des hommes, de repenser la question des rapports entre les sexes et celle de la sensibilité, cette 'nouvelle conception du sentiment' (p. 156). Émilie Du Châtelet se peint en scientifique modeste quand elle écrit à Maupertuis, mais c'est l'amoureuse que l'on entend dans l'échange avec Saint-Lambert. Protectrice et conseillère pour Condorcet, Julie de Lespinasse est une amante pour Guibert, encore qu'il ne soit guère possible de distinguer chez elle intellect et sentiment, contrairement à ce que donne à croire la 'tradition romantique' (p. 65). Les rapports de pouvoir (institutionnels, personnels) sont au coeur des échanges entre Marie-Jeanne Riccoboni et l'homme de théâtre David Garrick ou le diplomate Robert Liston. Chez Mme de La Tour (avec Jean-Jacques Rousseau), chez Isabelle de Charrière (avec Constant d'Hermenches et Benjamin Constant) et chez É léonore de Sabran (avec Stanislas de Boufflers), Siess met en lumière comment les relations entre les sexes et le 'système des places' (p. 27) dominant sous l'Ancien Régime posent des questions récurrentes, celles de l'égalité, le 'fond commun de tous les humains' (p. 93), de la réciprocité et de l'empathie. Selon lui, seule la correspondance Sabran–Boufflers est un 'exemple probant de l'égalité dans l'union' (p. 154). L'analyse de Siess prend essentiellement en compte trois dimensions des correspondances: les images de soi et des autres créées par les épistolières; les relations entre elles et leurs destinataires; les buts qu'elles visent. L'auteur appelle 'images', 'présentations de soi' ou ethos ce que d'autres appellent '(auto)représentations' ou '(auto)portraits'. Ces mises en scène changent constamment, car les relations entre les correspondants se transforment au fil de l'échange: ces relations ne sont jamais statiques et, pour les interpréter, il faut être sensible à chaque situation d'énonciation, notamment à l'âge des épistoliers. Si ces deux dimensions des correspondances ont beaucoup retenu l'attention des épistologues, cela est moins vrai de la troisième: Siess montre qu'une lettre a toujours une visée utilitaire, voire stratégique. É crire une lettre, c'est souhaiter obtenir quelque chose, par exemple la reconnaissance, pour les femmes, que leurs 'capacités' sont égales à celles des hommes (p. 155). Cela est lisible dans leur 'dit' (le contenu explicite ou implicite) autant que dans leur 'dire' (l'énonciation, le ton). Les correspondances retenues prendraient leur sens par rapport à des 'normes comportementales' (p. 117) ou 'épistolaires' (pp. 77 et 152), mais ces 'codes', ces 'préceptes' (p. 96), ces 'conventions' (p. 129) ou ce 'cadre normatif' (p. 78) ne sont jamais décrits systématiquement par l'auteur. De même, les lettres du corpus sont dites 'familières', 'intimes' ou 'privées', sans que ces caté-gories soient problématisées. Enfin, on se demandera s'il est possible d'importer le concept de 'champ littéraire' (Pierre Bourdieu) pour caractériser la République des lettres classique.

Benoît Melançon
Université de Montréal
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