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  • Une cité entre deux mondes. La ville dans les arts et la littérature en France de 1958 à 1981 dir. by de Benoît Denis et Pierre Popovic
  • Hans-Jürgen Greif
Une cité entre deux mondes. La ville dans les arts et la littérature en France de 1958 à 1981, s. la dir. de Benoît Denis et Pierre Popovic, Montréal, Nota bene, 2015, 224 p.

Neuf des onze travaux réunis dans ce recueil traitent de Paris pendant les « Trente Glorieuses », terme forgé par Jean Fourastié (Les Trente Glorieuses ou La révolution invisible de 1946 à 1975, Fayard, 1979) pour désigner la période allant de la prise de pouvoir par le général de Gaulle au début de la présidence de François Mitterrand. Dans sa présentation, Pierre Popovic donne le ton à l'ouvrage : il importe de démonter le « grand récit historico-épique gaullien » qui cache la trahison, la violence et les horreurs commises par la France en Algérie. Cette même période avait généré une nouvelle société, moderne, ouverte sur le monde, individualiste et multiculturelle, radicalement différente de l'ancienne, archaïque et passéiste. Les événements les plus décisifs auront été le massacre de centaines de manifestants algériens pacifistes le 17 octobre 1961, ainsi que Mai 68.

Suivre l'évolution de la société française est un travail de détective. Ce n'est donc pas un hasard si la plupart des auteurs suivent les pistes littéraires les plus prometteuses à Paris, ville-miroir de l'actualité française. Les découvertes ont de quoi décourager toute velléité afin de retracer la « gloire » de ces trois décennies, à commencer par la superbe contribution de Benoît Denis, spécialiste de Simenon, « Paradis perdus. Nostalgies urbaines chez Georges Simenon et Léo Malet ». Les enquêteurs de ces [End Page 133] deux auteurs sont les infatigables promeneurs Jules Maigret et Nestor Burma qui arpentent sans relâche la métropole d'avant les grands « remembrements » de l'époque gaullienne. L'action de leurs romans se déroule pour la plupart dans les années 1930 ou dans l'immédiat aprèsguerre. Empreints de nostalgie, les textes publiés après 1958 (et donc, après la révolte d'Alger) reflètent une vision négative, voire pessimiste, des transformations de la ville : la démolition inconsidérée de rues entières, les expropriations, aussi implacables mais moins visionnaires que celles qui avaient eu lieu à l'époque haussmannienne. Une relecture de La curée, du Ventre de Paris et de L'argent s'impose : chez Zola se retrouvent les mêmes procédés d'entrepreneurs véreux, protégés par l'État. En lisant Du rébecca rue des Rosiers (Malet, 1958) ou La patience de Maigret (Simenon, 1965), on aperçoit chez le premier une tendance antisémite, alors que le second suit la mécanique de Pot-bouille où tout se joue à l'intérieur d'une même maison. On le voit : le regard des auteurs est carrément orienté sur le passé.

Comme il fallait s'y attendre, Mai 68 changera la donne pour le polar, ce que Kristin Ross démontre bien dans « Le roman noir de Paris ». Pour elle, les auteurs dessinent « une société dont les angoisses et les troubles sont le résultat direct de crimes historiques non résolus ». La nouvelle forme brouille la distinction entre histoire et mémoire, rappelle la guerre civile espagnole, la Deuxième Guerre mondiale, l'Holocauste, les atrocités commises en Indochine, en Algérie. Cependant, contrairement aux philosophes, les écrivains passent outre aux crimes d'État et respectent le pacte avec le lecteur en lui présentant le quotidien. Ainsi, Victor Blainville, le détective-photographe-journaliste-cycliste et ancien soixante-huitard de Jean-François Vilar, perçoit Paris comme un espace où de vieilles histoires de meurtres, de rêves et des images tirées d'enquêtes se succèdent rapidement, opposant ainsi mobilité et contemplation. En fait, Vilar raconte deux...

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