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  • La résistance en héritage. Le discours culturel des essayistes de Liberté (2006-2011) by Rachel Nadon
  • Gaëtan Brulotte
Rachel Nadon, La résistance en héritage. Le discours culturel des essayistes de Liberté (2006-2011), Montréal, Nota bene, 2016, 224 p.

Revue la plus ancienne au Québec après Les é crits, la prestigieuse Liberté a longtemps été faite par des écrivains avant tout, pour qui la littérature occupait une grande place, qu'elle soit québécoise ou étrangère. Fondée en 1959, elle connut un revirement important au cours de la période considérée dans ce livre entre 2006 et 2011. Cette réorientation témoigne d'un changement de paradigme chez les écrivains et les intellectuels québécois. Elle est liée à une inquiétude face à l'insuffisance du présent et à la déperdition de la culture, ainsi qu'au rejet du néo-libéralisme ambiant, de [End Page 125] l'austérité et de la bêtise des médias. Tout en privilégiant la ferveur, la lutte et la déraison, la nouvelle équipe, qui ne comportait pas au début de rédacteur en chef ni de collaborateurs réguliers ni de ligne éditoriale, cherchait à renouer avec l'engagement intellectuel des fondateurs et à renouveler le dialogue avec l'histoire. À cette fin, elle prôna une agora de la vraie parole, qui ferait de la revue un lieu de rencontres et de discussions des affaires de la cité. Comme cette équipe était surtout composée de gens de théâtre, Liberté allait accueillir des textes théâtraux, dimension inédite à cette enseigne où l'on avait plutôt favorisé la poésie et le roman. Ce lieu rafraîchi voulait rassembler des inconnus, c'est-à-dire des intellectuels « orphelins », peu lus et marginalisés, en une forme de résistance culturelle héritée des fondateurs.

L'auteur note que plusieurs essais publiés dans la revue au cours de cette période empruntent aux récits de filiation ou au récit historique des thèmes comme la trahison, la transmission ratée, la convocation de figures inspirantes qui symbolisaient les désirs et les inquiétudes de l'époque. Nadon consacre tout un chapitre aux figures de l'héritier car, pour certains collaborateurs, l'héritage français du Québec avait été trahi et on se devait désormais de le revaloriser. À ce titre, et quitte à rompre avec la tradition nationaliste du Québec (représentée par Jacques Godbout notamment), l'équipe s'intéressera aux marges occultées de l'histoire en redonnant une voix à des « oubliés », comme La Scouine d'Albert Laberge ou Arthur Buies, pour réparer des injustices, ou en revisitant la Grande Noirceur ou encore en démythifiant la Révolution Tranquille, jugée surestimée et inachevée. Ainsi les références changent : l'importance de grands noms comme Anne Hébert, Jacques Brault, Jean-Guy Pilon ou Jacques Ferron, voire Gaston Miron est relativisée pour les remplacer par d'autres figures tutélaires comme Hubert Aquin, le plus cité comme maître à penser, et le Borduas de Refus global à la hauteur duquel le Québec n'a pas su s'élever. Malgré le vœu de renouer avec l'héritage français, les références hexagonales sont rares dans la bibliothèque de cette nouvelle équipe qui préfère promouvoir les œuvres de méconnus comme Kachtitsis, écrivain helléno-montréalais, ce qui montre le désir de dépasser le « national ». Le constat qu'il y a des lacunes dans l'héritage motive aussi, bien sûr, des numéros « découvertes » ou « hommages », mais les omissions restent nombreuses comme Saint-Denys Garneau, pour ne prendre que cet exemple.

L'auteur analyse encore l'anthologie que cette équipe a élaborée autour du cinquantenaire de la revue (Kemeid, Olivier & al., Anthologie Liberté 19592009. L'écrivain dans la cité. 50 ans d'essais) pour constater que la sélection est biaisée en fonction des nouveaux intérêts du groupe puisqu...

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