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  • Roman
  • Patrick Bergeron

Si la grande spécialiste de poétique romanesque Isabelle Daunais s'étonnait de le voir « sans aventure », c'est-à-dire « ne constitu[ant] un repère pour personne sauf ses lecteurs natifs1 », le roman québécois (et l'on pourrait sans tricher lui adjoindre le roman francophone du reste du pays) n'a certainement pas manqué « d'aventuriers » en 2016. Sur la base des titres que nous avons reçus pour cette chronique, on constate qu'il s'en est publié plus de 150. Montréal demeure la Mecque éditoriale avec 77,3 % des parutions. La région de Québec, qui vient de perdre Nota bene (2013) et L'instant même (2017), toutes deux réinstallées dans la métropole, suit loin derrière avec 8,4 % des publications. À l'échelle du pays, 87,6 % des romans proviennent de la Belle Province, suivis (ici aussi de très loin) par l'Ontario avec 9 %. Mais l'expression « Small is beautiful », attribuée à l'économiste Leopold Kohn, s'applique pour saluer le dynamisme de maisons sises à Regina, Saguenay, Tracadie et Moncton. Entre les nouveaux venus aux débuts glorieux et les grands noms renouvelant (ou non) leur inspiration, l'année a été féconde en histoires de famille compliquées, en traversées de territoires et en tentatives de réinvention de soi. Le roman a manifesté de nombreuses affinités avec les formes brèves et de grands écrivains (Tchékhov, Hemingway, Camus) se sont mués en personnages. Un accès sans précédent à la franco-américanité de Jack Kerouac a été dévoilé au grand jour alors que, sur une note plus triste, l'éditeur Gaëtan Lévesque (décédé en mars 2017), s'est dévoué à [End Page 1] la littérature, sa grande passion, pour une ultime année. Bref, en 2016, le roman s'est prêté à toutes les aventures.

premiers romans

2016 aura été une année faste en matière de premiers romans : près d'une quarantaine d'auteurs ont tâté de ce genre pour la première fois. Certains avaient déjà publié des nouvelles, de la poésie, du théâtre ou des œuvres jeunesse auparavant mais, pour la plupart, cette publication venait marquer leurs débuts littéraires.

Du lot, Le plongeur de Stéphane Larue s'est distingué, remportant le prix des Libraires du Québec et le prix Senghor 2017. L'inspiration autobiographique et l'approche narrative hyperréaliste comptent certainement pour beaucoup dans l'impression d'authenticité que Larue parvient à installer dès les premières pages. L'essentiel du récit se déroule à Montréal au cours de l'hiver 2002. Le narrateur, un cégépien de 19 ans, étudiant en graphisme, devient plongeur à La Trattoria, un restaurant branché du Plateau. Catapulté dès le premier soir dans un terrible rush, il fait preuve d'un calme et d'une fiabilité qui lui vaudront l'estime de ses collègues, dont Bébert, le flamboyant cuisinier qui le prendra sous son aile, Bonnie, la punkette ontarienne, ou Bob, le véritable « Bob le chef » (Robert-James Penny), chroniqueur à Radio-Canada et auteur d'ouvrages sur L'anarchie culinaire. Roman sur Montréal et le noctambulisme, ainsi que sur la dépendance aux loteries vidéo, Le plongeur séduit par la fluidité de la narration et l'absence d'artifice.

C'est un autre type de « plongée » que propose Déterrer les os de Fanie Demeule : celle dans l'intimité d'une adolescente aux prises avec un trouble alimentaire. Écœurée par sa corpulence, la narratrice oscille entre l'inconfort de la faim et celui du gavage. La scène où elle engloutit six pamplemousses d'affilée illustre bien l'excès qui modèle son quotidien. Le style lapidaire, vif et spontané dont use Demeule fait de Déterrer les os un récit glaçant, adroitement ajusté à son sujet.

Après les os, c'est le sang qui fournit l'image de fond au premier roman d'Elsa Pépin (mais pas son...

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