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Reviewed by:
  • Paris ville ouvrière. Une histoire occultée, 1789-1848 by Maurizio Gribaudi
  • Vincent Robert
Maurizio GRIBAUDI, Paris ville ouvrière. Une histoire occultée, 1789-1848, Paris, La Découverte, 2014, 445 p.

Le livre de Maurizio Gribaudi est un beau livre, dans tous les sens du terme. Il l'est d'abord par l'importance et la très grande qualité de l'iconographie : reproductions de tableaux, de lithographies et gravures anciennes, fac-similés de documents d'archives, mais jamais anecdotiques ; graphiques et surtout cartes élaborées pour l'occasion, une cinquantaine, remarquablement lisibles, toujours en rapport étroit avec le texte et sans qui celui-ci perdrait beaucoup de sa force. Un tel effort est devenu bien rare dans un livre accessible à un public de non-spécialistes et il faut en féliciter l'éditeur17. Il l'est ensuite dans son projet : rendre justice à une dimension trop sous-estimée, voire ignorée du Paris du XIXe siècle. Dans la première moitié de ce siècle, Paris n'était pas tant la capitale de la misère et du crime noyée sous l'aflux des migrants, telle qu'a voulu la voir Louis Chevalier dans un livre suggestif mais en définitive très surestimé, qu'une ville ouvrière incroyablement vivante et inventive, une véritable ruche dont nous pouvons mieux cerner la modernité maintenant que celle-ci ne se résume plus pour nous à la grande usine et à la machine à vapeur, mais qu'elle peut prendre en compte la modernisation des pratiques et de l'organisation d'une « fabrique » collective qui était tout ce qu'on voudra, sauf traditionnelle.

Cette réalité, le discours dominant l'a en fait progressivement masquée au fur et à mesure de la croissance d'une population qui s'entasse dans les quartiers du centre ancien, presque autant qu'elle investit les faubourgs et autres espaces périphériques. [End Page 186] Ce processus d'effacement est étudié dans la première partie de l'ouvrage, où l'auteur prend soin de confronter les images des quartiers populaires dans le discours savant ou administratif, dans la littérature et dans l'iconographie. Au temps de l'Empire et sous la Restauration, les administrateurs considéraient encore volontiers la capitale comme un tout, non certes exempt de problèmes (qu'on pensait, dans un contexte néo-hippocratique, facilement solubles en élargissant les rues trop étroites et en limitant la hauteur des bâtiments), mais associant des activités globalement complémentaires. Étienne de Jouy (« l'Hermite de la Chaussée d'Antin ») vantait évidemment les nouveaux quartiers bourgeois (d'où son pseudonyme), mais il prenait le temps de visiter des maisons du Paris populaire, d'en décrire les habitants, sans misérabilisme ni apitoiement, de noter scrupuleusement leurs activités. Quant aux images des bâtiments anciens vendus comme biens nationaux, elles les montraient bien en voie de démolition ou carrément en ruines, mais encore insérés dans la vie du quartier et de ses habitants. Puis, après les Trois Glorieuses, en quelques années tragiquement marquées par le choléra et les insurrections de juin 1832 et d'avril 1834, le regard change presque du tout au tout : sensibles aux intérêts des propriétaires qui ont désormais voix au chapitre municipal, les administrateurs ne voient plus que des quartiers entiers à percer pour assainir, les observateurs sociaux de tous bords dénoncent les misérables qui y habitent et dont les mauvaises moeurs sont certainement responsables de l'insalubrité ; quant aux écrivains romantiques, ils développent un discours qui associe l'éloge de la modernité flamboyante des boulevards au mépris pour ce qu'il y a en deçà, « les grandes Indes », dont l'obscurité engloutit la splendeur de monuments anciens qu'il faudrait remettre en valeur, quitte à déloger les malheureux habitants de ces espaces déchus. Les illustrateurs ne sont pas en reste. Les grandes lignes et les justifications du projet haussmannien étaient donc déjà en place.

Or cette vision est partielle et partiale. C'est ce que démontre...

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