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  • Les marins du Havre. Gens de mer et société urbaine au XIXe siècle by Nicolas Cochard
  • Christian Chevandier
Nicolas COCHARD, Les marins du Havre. Gens de mer et société urbaine au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Histoire », 2016, 336 p. Préface de Jean-Louis Lenhof.

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, qui y fut professeur de philosophie au début des années 1930, voyaient dans ses bars à matelots un des attraits du Havre. Mais quiconque tenterait d'en dénicher aujourd'hui dans la ville-port de l'estuaire de la Seine serait vite déçu. C'est que les effectifs du port se sont considérablement réduits et que les marins y sont devenus rares lorsque dix-sept hommes constituent l'équipage d'un porte-conteneurs de 36 000 tonnes alors que, pour un cargo au tonnage six fois moindre, ils étaient six fois plus nombreux il y a un siècle. Et comme les matelots viennent de pays pauvres et que les escales sont en moyenne de moins de 24 heures, ils ne descendent que rarement en ville. La ville et les marins, c'est aux rapports entre un espace urbain et une population maritime que Nicolas Cochard a consacré cet ouvrage. Et s'il accorde une dizaine de pages aux débits de boissons, en nombre dans les quartiers qui sont à proximité des principaux bassins portuaires, « véritables lieux centraux de la vie maritimo-portuaire », c'est que la ville du Havre pouvait apparaître (abusivement précisons-le) comme la ville la plus alcoolisée du monde au début du XXe siècle.

Tiré d'une thèse, cet ouvrage en garde un plan rigoureux. Après une rapide présentation de l'évolution de la ville qui, loin de se contenter de dresser le décor, nous présente les facteurs de mutation de la population, l'auteur analyse les dynamiques professionnelles des marins, s'attardant sur les pratiques, les carrières, les revenus (avec notamment la question des pensions de retraite, pour lesquelles le secteur fut pionnier) et la santé puis la mort, à un moment où une véritable « déprise religieuse » obligea les gens de mer à modifier leurs appréhensions des malheurs, tandis que les préjugés conduisaient à se méfier de la présence à bord d'une femme ou d'un ecclésiastique. C'est ensuite la place des marins dans la ville, la carte de leur habitat, les origines sociales et géographiques et la nuptialité qui permettent de les placer au sein de l'ensemble des milieux populaires havrais. Enfin, la dernière partie évoque les sociabilités, parmi lesquelles une violence ostensible qui entretient « un entre-soi à l'échelle d'un équipage ou sous l'angle de la nationalité » mais qu'il ne faudrait pas surévaluer, sans oublier bien sûr cet élément essentiel que sont les mouvements sociaux.

Édifiée au XVIe siècle pour être un port de guerre, la ville du Havre était vite devenue un port commercial mais demeurait encore, aux lendemains de la Restauration, confinée à l'intérieur de son enceinte primitive. S'affirmant au XIXe siècle comme ville industrielle, elle avait débordé de ses limites originelles pour devenir une cité bien différente à la veille de la Grande Guerre. Les transformations urbaines avaient modifié la toile de fond de la vie en ville des marins et correspondaient à une profonde transformation, ne serait-ce par la croissance de sa population, de 17 000 habitants vers 1800 puis multipliée par huit en un siècle15. Les marins en constituaient un élément de poids et, sans perdre de vue leurs pratiques à bord, l'auteur s'intéresse surtout à ce qu'ils faisaient, à ce qu'ils étaient une fois à terre. Et c'est sur un temps [End Page 184] que diverses transformations (de la ville, de la marine, de la vie, du métier) ont rendu long qu'il veut « évaluer clairement des évolutions », alors que les ruptures furent moins brutales qu'il ne pourrait paraître : à partir des ann...

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