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  • 1968. Photographier la grève
  • Danielle Tartakowsky

Les événements de mai-juin 1968, tels qu'on continue à les nommer, participent d'une crise complexe, notamment caractérisée par la coexistence d'un « mouvement étudiant » inédit dans ses formes et la plus grande grève générale que la France ait connue. Avec, entre l'un et l'autre, de possibles circulations qui n'excluent pas la clôture, selon nous dominante.

Les albums photographiques ou expositions publiés ou organisées au rythme des anniversaires décennaux attestent de ce que les acteurs et tenants du « Mouvement de mai » ont toutefois indéniablement gagné durablement la bataille des images, sous l'espèce des affiches des Beaux-arts ou de photographies devenues, pour certaines, iconiques 1. Les barricades du Quartier latin et le pavé, son expression métonymique, se sont imposés pour l'image entre toutes de « 68 », à l'égal de ce qu'il advint des façades d'usines occupées ou des tandems qui s'affirmèrent, en 1936 puis durablement, pour des « images de marque de l'événement historique 2 », propres à signifier le Front populaire sans qu'il soit besoin de légende. Sans que les grèves de 1968 ne soient parvenues à engendrer au même titre un puissant système de représentations. Cette présentation de quelques photographies, pour l'essentiel extraites du fonds des Correspondants photographes de L'Humanité déposé aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (AD 93), entend attirer l'attention sur l'existence de fonds photographiques qui, pour avoir déjà donné lieu à des expositions ou ouvrages, n'en sont pas moins susceptibles d'alimenter de nouveaux travaux sur les grèves et leurs représentations 3. Sans aucune prétention exhaustive de notre part.

Le premier de ces fonds, qui est ici mobilisé à titre de comparaison, est le Fonds photographique du journal France-Soir, riche de 24 000 photographies concernant 1968, aujourd'hui conservé par la Bibliothèque historique de la ville de Paris. Il a fourni la matière d'une exposition virtuelle réalisée pour la Mairie de Paris, dont j'ai été la commissaire, qui permettra de se reporter aux photographies ici évoquées 4.

Le deuxième est le fonds du service photographique de L'Humanité, qui emploie neuf photographes à la veille de 1968. Ce fonds déposé par la direction du journal aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis contient quelque deux millions et demi de clichés portant presque exclusivement sur la période 1947-2000, [End Page 137] pour des raisons sur lesquelles nous nous sommes expliquée ailleurs, sans qu'il soit aisé de chiffrer précisément le nombre considérable de clichés relatifs à 1968 5.

Le troisième est le fonds du service des correspondants de L'Humanité déposé dans ces mêmes archives par Michel Tartakowsky et Paulette Jourda lors de la disparition du service dont ils assuraient la direction. Ces correspondants sont des salariés, pour la plupart militants communistes, adressant bénévolement au journal informations et photographies sur les luttes dont ils sont également des protagonistes. Un certain nombre d'entre eux ont été formés à la photographie dans le cadre d'écoles organisées par ce service 6. Répartis dans la France entière, avec toutefois une surreprésentation de la région parisienne, ils couvrent d'autant plus aisément les grèves de 1968 qu'ils en sont les acteurs. 4 000 clichés de ce fonds concernent 1968 7.

En mai-juin 1968, L'Humanité s'est imposé comme une manière de journal officiel de la grève, devenu, pour les militants de la CGT en premier lieu, un acteur à part entière à bien plus fort titre qu'un média. Ces semaines durant, France-Soir n'a prêté qu'une attention relative à la grève, s'en tenant à constater à la une, le 18, que « la grève s'étend », avant de l'assimiler et de la réduire à la gêne qu'elle occasionnait. Il n'est dès lors guère surprenant...

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