In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Mœurs, langage et cérémonies des habitants de Canada, Hochelaga et Saguenay:la réduction de l'altérité dans le Brief recit (1545) de Jacques Cartier
  • Claude la Charité

À l'évidence, Jacques Cartier n'était ni moraliste comme Montaigne ni cosmographe comme André Thevet et encore moins anthropologue comme Lévi-Strauss. Ses relations de voyage font néanmoins la part belle à l'altérité, en offrant la première représentation des Amérindiens de la vallée du Saint-Laurent, depuis Honguedo (ou Gaspé) jusqu'à Hochelaga (actuelle Montréal), en passant par Stadaconé (c'est-à-dire Québec). Et si le navigateur malouin n'a pas toujours l'ouverture que nous aimerions qu'il ait à l'égard de ces premières nations, son rapport à l'altérité autochtone est sans doute plus complexe que ce à quoi le résume, par exemple, Keith Meadwell:

Dans ses relations sur la Nouvelle-France, Jacques Cartier […] décrit les traits culturels qui caractérisent la figure du sauvage: nudité, nomadisme, pauvreté, altération du corps (peintures, masques et tatouages). Ce portrait en dit long sur le regard analytique de Cartier, qui en tire la conclusion que l'Amérindien serait facile à convertir à la sainte foi […].

(Meadwell 13)

Sans être tout à fait inexacte, cette analyse a cependant le défaut d'envisager l'altérité comme une essence donnée de toute éternité et immuable, alors même que les relations de Cartier montrent pourtant qu'elle est une phénoménologie, une construction du discours fondée sur un jeu instable et changeant de positions et de perspectives. Notre hypothèse est que, pour arriver à cerner le rapport de Cartier à l'Autre, il faut en réalité envisager un continuum qui dépasse les deux interlocuteurs en présence, à savoir, d'un côté, les explorateurs français et, de l'autre, les Amérindiens, condamnés à se regarder pour l'éternité en chiens de faïence. L'altérité suppose plutôt une interaction entre plusieurs variables où la différence de l'Autre [End Page 189] apparaît plus ou moins grande, selon qu'elle se mesure à l'aune de soi ou à l'aune, pour ainsi dire, d'un autre Autre. De ce point de vue, les relations viatiques de Cartier montrent une évolution sensible du premier au deuxième voyage, où l'altérité des Amérindiens, perçue dans un premier temps comme irréductible, montre, dans un second temps, plus d'affinités qu'on ne pourrait le croire avec les Français du xvie siècle, lorsque ces Amérindiens sont envisagés comme moyen terme entre deux extrêmes. C'est ce processus de familiarisation progressive ou de réduction de l'altérité des autochtones que nous nous proposons d'étudier dans cet article, en abordant trois aspects complémentaires sur lesquels le sous-titre de l'édition de 15451 de la relation du deuxième voyage, attire l'attention, à savoir les "meurs," le "langage" et les "cerimonies": Brief Recit, et succincte narration, de la navigation faicte es ysles de Canada, Hochelage, et Saguenay et autres, avec particulieres meurs, langaige, et cerimonies des habitans d'icelles. La tripartition "mœurs," "langage," "cérémonies" entre en résonance avec une autre tripartition, celle des lieux, Canada, Hochelaga et Saguenay. Or, comme on le sait, le royaume de Saguenay est, dans les explorations de Cartier, un pur fantasme, auquel il ne parviendra jamais. Ainsi, on le voit d'emblée, l'altérité des Amérindiens, certes indéniable, est marquée d'une différence moins grande, dès lors qu'elle est ramenée à l'altérité du pays de Cocagne qu'est le royaume de Saguenay, connu seulement par ouï-dire, mais où tout est si "merveilleux" (le mot est employé par Cartier) que tout y apparaît exotique, différent et radicalement autre (Melançon 22-34).

Les mœurs d'un peuple "aisé à dompter" et la translatio imperii de l'agouhanna à Cartier

De la relation du premier voyage (1534) à celle du deuxième (1535-1536), le lecteur perçoit un net infléchissement quant à la...

pdf

Share