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  • Le Monstre, la vie, l'écart. La tératologie d'Étienne et d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire par Bertrand Nouailles
  • Pierre Ancet
Le Monstre, la vie, l'écart. La tératologie d'Étienne et d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire Bertrand Nouailles Paris : Classiques Garnier, 2017, 456 p., 58 €

Le livre du philosophe Bertrand Nouailles propose d'envisager le problème du monstre au sein du vivant à partir d'une étude de la tératologie d'Étienne et d'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. Leurs théories et leurs méthodes, ainsi que les controverses qu'elles ont suscitées, sont exposées en détail en première partie du livre ; tandis que la seconde partie, plus philosophique, pose la question du monstre comme sujet introduisant l'écart dans la vie même, en référence à différents auteurs classiques (Aristote, Diderot, Bergson, Foucault, Deleuze et Canguilhem). L'ensemble est très bien mené, mais il est regrettable que Leibniz, qui a fortement influencé les travaux d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, soit pratiquement absent de cette réflexion philosophique.

Comment faire des monstres, ces êtres manqués qui bien souvent meurent, la marque de la puissance de la vie ? Telle est la question philosophique posée par Bertrand Nouailles, dans la continuité de l'intention des Geoffroy Saint-Hilaire qui voulaient faire échapper le monstre à l'inorganisé ou à l'aberration morphologique.

L'enjeu pour les fondateurs de la tératologie est de montrer que des êtres aussi inorganisés en apparence sont soumis à un certain nombre de principes, notamment le plus fondamental, l'unité de composition organique. Ce principe suppose que tous les éléments constituants d'un animal (ceux qui forment ses organes) se retrouvent dans chaque autre forme animale. Chaque forme se trouve à la périphérie d'un centre idéal ou « abstrait » qui n'existe nulle part, mais se trouverait exprimé par l'ensemble des caractères visibles chez les êtres.

Le monstre, en rentrant au sein du vivant organisé, viendrait donc révéler une unité structurelle propre à tous les animaux. Et chaque monstre exprimerait à sa manière, de façon originale, l'organisation abstraite du vivant, en quoi il peut être appelé une espèce, car il est porteur d'un type original, au même titre que le type spécifique de millions d'êtres bien vivants, comme le défend Étienne Geoffroy Saint-Hilaire.

L'idée de Bertrand Nouailles est que le monstre actualise l'errance vitale de la vie, sa plasticité aveugle, en la portant jusqu'à son impuissance. En incarnant l'errance vitale, il montre la vitalité même de la vie, y compris à travers ses échecs. Ce n'est donc pas la forme monstrueuse qui intéresse l'auteur, mais le processus qui en est à l'origine. [End Page 450]

Le monstre présenté comme « écart », n'est peut-être au fond que la marque d'un écart qui appartient à la vie elle-même, comme le suggère le titre du livre. Il aurait été en ce sens intéressant de considérer plus précisément les différences (ou la continuité) entre variation, mutation et monstruosité d'un point de vue contemporain. En revanche, il était plus risqué de guider l'analyse des textes fondateurs de la tératologie en s'appuyant sur l'hypothèse transformiste, pour laquelle nous avons souvent un trop fort intérêt rétrospectif : il s'agissait plus à l'époque d'appuyer la théorie de l'unité de composition organique sur l'hypothèse transformiste que l'inverse. Bertrand Nouailles défend cependant cette lecture en s'appuyant avec précision sur certains passages marquants.

L'autre réserve que l'on peut adresser à ce livre est la surestimation de la continuité entre les travaux des Geoffroy Saint-Hilaire père et fils. Même si Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ne cesse d'avancer qu'il s'inspire directement des idées de son père, il y a souvent beaucoup de distance entre ces aspects déclaratifs et l'effectuation de la classification tératologique. Celle-ci repose sur une lecture positiviste des corps, qui a...

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