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Reviewed by:
  • Refus global. Histoire d'une réception partielle by Sophie Dubois
  • Jean-Philippe Warren
Sophie Dubois, Refus global. Histoire d'une réception partielle, ( Montreal, Presses de l'Université de Montreal, Collection « Nouvelles études québécoises », 2017)

Y a-t-il encore quelque chose de neuf à dire sur Refus global? À lire l'impressionnant ouvrage de Sophie Dubois, il semble bien que oui. À la croisée de la littérature, de l'histoire et de la sociocritique, Dubois refait avec énormément d'érudition et de finesse l'histoire de la réception d'un Refus global que tout le monde connate, mais que très peu de personnes ont lu. Pour éclairer sa démarche, elle se sert de la métaphore de l'autoroute : pour elle, l'histoire des discours critiques formulés sur les oeuvres chemine sur plusieurs voies, mais une voie finit toujours par être plus congestionnée ou engorgée que les autres, ce qui relègue certains discours à occuper des voies secondaires ou à rester dans des angles morts. Selon elle, Refus global n'a pas échappé à ce destin. Il a été lui aussi victime d'accidents de parcours. Il est désormais emprisonné dans une « réception partielle », qui occulte ou obstrue les autres interprétations possibles.

Le problème, c'est qu'on a réduit le recueil de textes et d'illustrations au texte « Refus global » rédigé par Paul-Émile Borduas et cosigné par quinze artistes du groupe automatiste, puis on a fait de ce texte, après le renvoi de Borduas de l'École du meuble, un raccourci pour décrire le Québec intransigeant ou simplement frileux de l'ère duplessiste. On a ainsi écarté de la réception à peu près tout de ce qui faisait la richesse et la complexité du document initial, sauf en quelque sorte le bandeau rouge qui servait d'annonce publicitaire et sur lequel était écrit en lettres majuscules le simple mot « manifeste ». On a ainsi atrophié la polysémie de l'ensemble du document collectif, et même laminé le sens du texte de Borduas luimême.

L'explication ne tient pas seulement à des causes extérieures. Déjà, importante source de confusion, le recueil et le texte de Borduas portent le même titre. De plus, le recueil, que l'on nomme indifféremment lors de sa parution « manifeste », « ouvrage », « texte », « cahier » ou, en anglais, « folder » ou « portfolio », est caractérisé par une forme « écartelée », pour reprendre ici l'expression de Julie Gaudreault. Ensuite, l'oeuvre est le fruit de sept créateurs (Borduas, Gauvreau, Cormier, Sullivan, Leduc, Perron et Riopelle), sans mentionner les signataires du texte éponyme. Le ton et le genre des textes different grandement : manifeste, pamphlet, lexique, théâtre, poésie, essai, etc. En autres, on ne sait pas très bien si les textes de Gauvreau sont des « poèmes », des « pièces dramatiques », des « sketches », des [End Page 260] « dialogues symboliques » ou des « mots imaginaires ». Les composantes visuelles empruntent à la photographie, à la lithographie, à la peinture, à la sculpture, à l'aquarelle, à la mise en scène, à la chorégraphie. Les disciplines principales qui structurent Refus global sont les arts visuels, la littérature, la danse, la psychanalyse et la photographie. Bref, par sa présentation matérielle, la pluralité de ses contributeurs, sa forme générique et sa multidisciplinarité, Refus global ressemble à tout, sauf à un livre ordinaire vendu à la librairie Tranquille ou Deom. On sent que ses premiers « lecteurs » ne savent pas trop quoi en faire.

Le public québécois francophone était pour d'autres raisons encore mal préparé à recevoir Refus global. Sophie Dubois insiste sur l'absence, dans les années 1950, d'autonomie du champ culturel face au champ du pouvoir et sur le fait que le milieu artistique demeurait soumis aux normes du pouvoir. D'un certain point de vue, elle a tout à fait raison : l'art québécois restait alors inféodé à une visée morale. Mais d'un autre point de vue, il aura fallu sans doute faire une remarque inverse dans le cas de Refus global : le scandale de sa parution vient aussi de que...

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