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Reviewed by:
  • Le Romanesque des lettres by Michel Murat
  • Anthony Glinoer
Le Romanesque des lettres. Par Michel Murat. (Les Essais.) Paris: José Corti, 2017. 312 pp.

'Comme un roman'. Sans doute est-ce cette expression qui colle le mieux à l'exploration critique proposée par ce livre: s'intéresser aux lettres 'comme un roman', soit avec le plaisir, l'intérêt, le mouvement, l'aventure associés au genre romanesque, sans pour autant verser dans les seules études sur le genre romanesque. Dans ce livre de maturité, Michel Murat avance comme un critique en liberté, à l'image de Julien Gracq auquel il a consacré sa thèse puis un autre livre (L'Enchanteur réticent (Paris: José Corti, 2004)). Les genres lui importent peu: le 'romanesque' se déploie un peu partout, en poésie, dans les correspondances, dans les essais, dans la vie littéraire elle-même. 'Le romanesque est donc presque partout présent, puisqu'il se manifeste dès qu'on adopte le point de vue du lecteur' (p. 12). Il fait en même temps un plaidoyer par l'exemple pour l'histoire littéraire, discipline en pleine renaissance depuis la désaffection relative de la théorie poéticienne et depuis que des chercheurs, Murat lui-même (il fut l'un des responsables d'un vaste chantier de recherche collectif sur l'histoire littéraire telle qu'elle est pensée et écrite par les écrivains), Alain Vaillant (L'Histoire littéraire (Paris: Armand Colin, 2010)) et quelques autres, ont proposé des réflexions importantes sur les méthodes et les enjeux de cette discipline. Il s'agit pour Murat d'aller chercher l'histoire des lettres là où on ne l'attend pas: dans les romans à clés de la Troisième République, dans les anecdotes, dans les façons d'être, à même et hors des textes. Cela l'amène, comme d'autres (Dominique Maingueneau, Contre Saint Proust. Ou la fin de la littérature (Paris: Belin, 2006)) à s'inscrire en faux contre la distinction proustienne entre le moi social (territoire de sociologues toujours suspects de vouloir voler le feu de la création) et moi profond, 'le noyau de l'être littéraire' (p. 10). Précisément, le romanesque défie les séparations nettes (auteur/écrivain, fiction/référence, texte/hors-texte) et touche aux interférences réciproques entre la littérature et la vie. Murat, fait suffisamment rare pour être noté, ne s'est jamais strictement limité à une période de l'histoire littéraire française. Il a beaucoup écrit sur la poésie du dix-neuvième siècle (Rimbaud, Mallarmé), mais aussi sur le surréalisme, sur Gracq. Dans ce livre encore, il fait preuve de la même finesse d'analyse et de la même connaissance de l'œuvre pourtant si vaste de Sainte-Beuve et Balzac (chapitre 1), de Flaubert, Huysmans et Sartre [End Page 631] (chapitre 2), de Goncourt, Gide et autres auteurs de romans à clés (chapitre 3), d'Aragon et Breton (chapitre 4), de Sartre encore, Beauvoir, Jean Genet et Violette Leduc (chapitre 5), pour finir par quelques remarques conclusives sur le romanesque à l'heure de l'autofiction et de l'exofiction. Le Romanesque des lettres, précisément parce que son auteur pense au lecteur, parce qu'il s'autorise des sauts, des retours, des écarts, est un bonheur de lecture et l'un des livres de critique littéraire les plus revigorants des dernières années.

Anthony Glinoer
Université de Sherbrooke
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