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  • La 'Gens' Flaubert: la fabrique de l'écrivain entre postures, amitiés et théories littéraires by Thierry Poyet
  • Alexandre Burin
La 'Gens' Flaubert: la fabrique de l'écrivain entre postures, amitiés et théories littéraires. Par Thierry Poyet. (Lettres modernes Minard, 49; Critique, 3.) Paris: Classiques Garnier, 2017. 619 pp.

L'ouvrage de Thierry Poyet s'ouvre sur une simple interrogation: 'Qu'est-ce que la fabrique de l'écrivain? Et comment fonctionne-t-elle?' (p. 19). À travers l'exemple de Flaubert, l'auteur propose d'analyser le processus du devenir-écrivain, et plus particulièrement la construction de 'la modernité littéraire, l'écrivain nouveau' (p. 464) que représente l'auteur de Madame Bovary. Il revient sur le principe structuraliste de mort de l'auteur en replaçant Flaubert dans son champ littéraire et en se basant sur une approche sociologique de la [End Page 613] littérature, notamment via les théories de José-Luis Diaz (L'Écrivain imaginaire: scénographies auctoriales à l'époque romantique (Paris: Honoré Champion, 2007)) et Jérôme Meizoz (Postures littéraires: mises en scène modernes de l'auteur (Genève: Slatkine, 2007)) qui se concentrent sur la notion de posture littéraire. La posture constitue l'identité littéraire construite par l'auteur lui-même; elle comporte une double dimension, en prise sur l'histoire et le langage, qui se donne comme une conduite et un discours (ethos). Au fil de ces pages se dessine ainsi l'image d'un Flaubert beaucoup plus complexe et contradictoire que celle, très répandue, de l'ermite de Croisset. C'est bien là l'intérêt majeur du livre: à partir de l'idée selon laquelle l'individu Flaubert est plusieurs (voir p. 22) et contre une certaine tendance à l'hagiographie chez les défenseurs de l'écrivain, Poyet s'attache à mettre à jour la construction littéraire et auctoriale de Flaubert en analysant la sociabilité de l'écrivain. Il divise son ouvrage en trois parties: l'écrivain en représentation et le personnage social; réflexion sur sa propre esthétique et élaboration de sa théorie littéraire dans la lecture; incarnation de la modernité et héritage. Forte d'une impressionnante documentation (dans sa préface, Éric Le Calvez rappelle qu'y figurent plus de 1 200 notes; p. 14), cette archéologie de Flaubert permet de replacer l'écrivain dans une certaine semiosis sociale et littéraire. L'évolution de la presse après 1830, la rupture avec le romantisme, l'effet de médiatisation, tout converge, à cette époque, à une transformation de la situation de l'écri-vain. Flaubert ne semble pas y échapper et s'invente, selon l'auteur, un personnage fictionnel qui incarne, avant Mallarmé et avec Baudelaire, la modernité littéraire. Poyet insiste alors sur des moments de socialités — généralement hors périodes d'écriture — qui participent de manière active à la formation de l'écrivain et il puise largement dans sa correspondance, véritable 'fabrique d'imagos' selon Diaz (p. 29). Il remet aussi Flaubert en dialogue avec les minores et les majores d'alors: Alfred Le Poittevin, Louise Colet ou Maxime Du Camp jusqu'à Maupassant, Huysmans et les petits naturalistes, en passant par les 'maîtres' contemporains Hugo, Zola, Sand et les Goncourt, et bien d'autres encore. On y voit se construire la 'poétique insciente' (p. 460) et le principe flaubertien de l'impersonnalité dans la critique faite à ses pairs. Mais si Flaubert donne des principes esthétiques, c'est bien la preuve qu'il veut exister dans ce champ littéraire. C'est ce que Poyet entend montrer: il remet en question la revendication flaubertienne d'une autonomie radicale de la littérature face aux contingences biographiques, sociales et historiques, puisque Flaubert, malgré tout, semble lui aussi élaborer une posture littéraire — même si cette dernière peut être perçue comme 'en négatif '.

Alexandre Burin
Durham University
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