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  • L'OIT et le problème du sous-développement en Asie dans l'entre-deux-guerres
  • Véronique Plata-Stenger

Créée par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale dans le cadre du traité de Versailles de 1919, l'Organisation internationale du travail (OIT) est d'abord une organisation européenne. Jusqu'à la fin des années 1920, son action se concentre en effet sur la protection des travailleurs en Europe1. Cela dit, dès sa fondation, l'OIT a cherché à développer ses relations avec les pays extra-européens, en particulier en Amérique latine et en Asie, et à y diffuser les principes de la justice sociale2. En Asie, l'action de l'OIT se heurte cependant à une série d'obstacles géographiques, politiques et culturels. L'une des principales difficultés découle de la domination d'une culture européenne à l'OIT, qui a largement contribué à enfermer les pays asiatiques, généralement peu industrialisés, dans un paradigme de sousdéveloppement, les termes utilisés à l'époque dans les documents et les réunions de l'OIT étant « moins industrialisés », ou encore « arriérés3 ». Cette situation a des conséquences directes sur la diffusion d'une normativité internationale dans cette région. Les puissances coloniales et les représentants des pays asiatiques ont en effet largement utilisé l'argument du sous-développement pour imposer des limites à la mise en place d'un système universel de réglementation des marchés du travail. En dépit de l'existence de nombreux obstacles, le Bureau international du travail (BIT) reconnaît très tôt l'urgence d'agir dans la région et y multiplie les contacts. Albert [End Page 109] Thomas, premier directeur du BIT, a cherché dès les années 1920 à renforcer la présence de l'OIT en Asie.

En 1919, l'OIT compte parmi ses membres fondateurs un certain nombre de pays d'Asie : la Chine, le Japon, l'Inde, l'Iran et la Thaïlande4. S'il n'existe pas à ce jour d'étude expliquant la manière dont s'est négociée la participation des pays asiatiques à l'OIT, on peut toutefois relever ici la situation tout à fait exceptionnelle de l'Inde, colonie britannique, alors que l'adhésion à l'OIT n'est en principe possible que pour les États indépendants5. Certains auteurs ayant travaillé sur l'Inde ont surtout insisté sur le rôle de la Grande-Bretagne, qui a soutenu la représentation indépendante de l'Inde, dans l'espoir de bénéficier d'un allié dans les négociations à l'OIT6. Cependant, la situation exceptionnelle de l'Inde doit aussi se comprendre comme la manifestation des changements qui s'opèrent dans les relations internationales après la Première Guerre mondiale. Il faut sans doute considérer sa participation à l'effort de guerre, aux côtés des Britanniques, qui a certainement servi d'argument aux représentants indiens dans les négociations à Paris en 1919. Ces derniers ont par ailleurs bénéficié de l'attitude bienveillante des États-Unis7. L'octroi à l'Inde britannique d'une représentation indépendante peut aussi se comprendre comme la prise en compte de l'importance nouvelle des économies émergentes asiatiques après la Première Guerre mondiale. En Inde, l'industrie du textile et celle du charbon ont connu une expansion sans précédent durant la guerre, sans toutefois modifier la « nature fragmentaire » du processus d'industrialisation8. Le Japon a également vu sa production de soie et de coton augmenter de manière considérable durant le conflit. Enfin, l'économie chinoise a profité de la Première Guerre mondiale en raison de l'augmentation de la demande européenne de matières premières et d'importations alimentaires chinoises. Les hostilités terminées, le simple retour à une répartition de la production et à la structure des échanges internationaux d'avant-guerre n'est donc pas possible. Les puissances industrielles d'Europe l'ont d'ailleurs bien compris, en particulier la France et la...

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