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Reviewed by:
  • La grammaire intérieure. Une sociologie historique de la psychanalyse by Jean-Baptiste Lamarche
  • Emmanuel Delille
La grammaire intérieure. Une sociologie historique de la psychanalyse Jean-Baptiste Lamarche Montréal: Liber, 2016, 278 p., 26$

L'essai de Jean-Baptiste Lamarche est une étude des processus psychosociologiques qui sont susceptibles d'expliquer le succès des théories psychanalytiques au 20e siècle sous forme de pratiques de soi [End Page 235] et d'une culture de masse. Le titre principal, s'il n'est guère explicite, désigne pourtant bien la perspective de l'auteur, qui s'intéresse aux jeux de langage (au sens de Wittgenstein), à la psychologie sociale et, globalement, aux intentions que nous attribuons à nos comportements pour expliquer des phénomènes sociaux en termes psychologiques. Jean-Baptiste Lamarche reprend à son compte la thèse selon laquelle Sigmund Freud est en grande partie responsable de la confusion qui existe dans notre culture entre intériorité psychologique et contexte socioculturel, et entreprend alors une véritable démonstration sur l'occultation des valeurs dans l'explication freudienne des actes manqués, lapsus et autres troubles névrotiques. En revanche, le sous-titre du livre est trompeur, puisque ce travail ne relève ni de l'histoire ni de la sociologie, mais tout au plus d'une réflexion philosophique limitée à quelques auteurs choisis. Peu de références bibliographiques, pas d'enquête de terrain ni de travail en archive, pas de corpus ou de période bien délimités. Alors de quoi s'agit-il ici? Loin de déployer une analyse sociohistorique, c'est en vérité à une discussion serrée de certains critiques du freudisme (Valentin N. Vološinov, Mikhaïl M. Bakhtine, etc.) ou de psychologues porteurs d'une théorie alternative (George H. Mead) que se livre l'auteur, en réinscrivant certaines idées oubliées aujourd'hui dans un cadre d'analyse plus général, qui est la philosophie pragmatique et la théorie du politique de Charles Taylor.

Dans le fond, l'un des grands intérêts de cet essai est qu'il s'intéresse de près aux normes et aux valeurs dans les interactions de la vie quotidienne, ainsi qu'à la manière dont le freudisme a modifié notre manière de les négocier en société en imputant nos motifs d'action à un inconscient psychologique plutôt qu'aux faits sociaux. Mais cette normativité n'est pas analysée à travers les concepts de Georges Canguilhem. Pour les besoins de sa démonstration, Jean-Baptiste Lamarche procède autrement, en réduisant le freudisme à la théorie du refoulement, une démarche heuristique dans la première étape de sa démonstration, surtout lorsqu'il met en perspective les arguments de Vološinov selon lesquels l'attribution de désirs refoulés à nos conduites est une psychologisation de rapports sociaux. Dit avec d'autres mots, il se propose d'élucider la grammaire de l'intériorité imposée par les techniques freudiennes selon une seule modalité : l'aveu du refoulement obtenu du patient par le psychanalyste, qui se fait sur le modèle de la pratique ordinaire qui consiste à verbaliser les motifs de nos conduites de manière rétroactive. Un exemple simple et correctement énoncé illustre son propos : quand l'enfant apprend ce qu'est une intention, ce n'est [End Page 236] pas en repérant une intention dans son esprit, mais au contraire en rencontrant des situations où ses intentions sont nommées par d'autres acteurs sociaux – en particulier ceux qui ont autorité sur lui.

Ainsi, et dans lignée de chercheurs en sciences sociales comme Alain Ehrenberg, Jean-Baptiste Lamarche énonce sans peine que la théorie freudienne du refoulement a propagée une conception « soustractive » de l'inconscient, dans le sens où elle a imposé dans notre culture l'idée que nos conduites relèveraient d'une vie intérieure soustraite de tout contexte historique. Ce néo-cartésianisme freudien magnifie une intériorité toute puissante et illusoire, mais dont la formulation est adaptée à la vie moderne...

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