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Reviewed by:
  • Lettres d’Amérique by Nathalie Sarraute
  • Emmanuel Delille
Nathalie Sarraute, Lettres d’Amérique. Édition établie et annotée par Carrie Landfried et Olivier Wagner. Paris: Gallimard, 2017. 128 pp.

Premier inédit depuis la disparition de Nathalie Sarraute (1900–1999), cette correspondance ouvre une fenêtre sur l’intimité de la romancière qui a eu l’ambition de renouveler l’analyse psychologique. C’est à l’occasion d’une tournée de conférences (‘Roman et réalité’ et ‘Flaubert ou le précurseur’) aux États-Unis en 1964 que Nathalie et Raymond Sarraute s’échangent des lettres d’amour. Car il s’agit bien d’amour et de complicité dans cette correspondance. Sarraute signe ‘Fox’ et appelle son mari ‘Mon Chien Loup’ avec [End Page 301] facétie et gaieté. Le style télégraphique tranche avec les romans publiés. Par exemple, en mettant au point un plan pour faire venir son mari: ‘Moi je trouve ça une idée bolide’ (p. 46). Ou encore, émerveillée par New York: ‘Leningrad, Paris, c’est zéro’ (p. 47). Elle découvre les hippies (‘jeunes filles en pyjamas aux cheveux pendants’, p. 43), sort dans des endroits chics (‘sombres boiseries, jeunes beautés aux tables’, p. 52), va voir Docteur Folamour de Stanley Kubrick dans un cinéma de Broadway et assiste à une messe à Harlem (‘Stupeur opaque du Fox, impossible d’y croire’, p. 74) malgré la ségrégation raciale aux États-Unis. Si elle est parfois en butte aux critiques américains qui voient dans ses livres des antiromans (Tropismes et L’Ère du soupçon sont traduits en anglais en 1963), la foule se presse néanmoins pour l’écouter dans les salons d’honneur des universités. Cependant, elle séduit peut-être davantage les étudiants que les enseignants (‘Professeurs ahuris par le culot à propos de Flaubert. Étudiants amusés’, p. 75) et elle s’inquiète surtout de la réaction d’Alain Robbe-Grillet à ses critiques. Pour les lecteurs de Sarraute comme pour les spécialistes de théorie littéraire, cette correspondance revêt donc un véritable intérêt, car elle permet de retracer la genèse de deux essais majeurs sur la littérature d’après-guerre. Or Sarraute ne publiera pas ‘Roman et réalité’ de son vivant. A-t-elle davantage craint la réception de ses idées que ce que la correspondance laisse entendre? On aurait aimé savoir ce qu’en pensait le destinataire, son confidant: non seulement les lettres de son mari ne sont pas reproduites, mais en plus les éditeurs n’ont guère pris le soin d’expliquer leur choix, alors que l’appareil critique est lourd et fastidieux. Certes, la présentation d’Olivier Wagner est un essai sérieux. Mais les lettres sont noyées de notes inutiles et ennuyantes: traduction française de ginger ale, nom d’hôtel, commentaires emphatiques, éloge appuyé, rien ne nous est épargné. Doit-on rappeler que Sarraute s’est moquée du culte qui a entouré Paul Valéry? À l’opposé, les éditeurs auraient pu établir des liens avec les controverses intellectuelles de l’époque en dehors du nouveau roman. Par exemple, lorsque Sarraute présente ‘Flaubert ou le précurseur’, le philosophe Georges Canguilhem prend lui aussi position contre les abus de la notion de précurseur chez ses contemporains. Dit avec d’autres mots, cette correspondance est à la fois un document attachant et une édition barbante.

Emmanuel Delille
Centre Marc Bloch, Berlin
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